Ardennes (suite)

Publié le par RL

Màj le 16/05/2018

Des Ardennes à la Meuse

À la suite de lectures sur le sujet, je reviens sur l'article consacré aux Ardennes, que j'avais écrit précédemment. J'avais en effet axé mon propos sur le front de la IIe Armée. Mais, une autre grande unité s'y trouvait : la IXe Armée du GA André Corap. Son front était aussi faiblement défendu que celui de la IIe Armée, avec laquelle elle faisait jonction au nord-ouest de Sedan.

Un général peu écouté :

À la mobilisation le GCA Corap prit le commandement du Détachement d'Armée des Ardennes, un organisme hybride entre le corps d'armée et l'armée, mais plus proche du premier que du second. Le général, convaincu depuis sa prise de commandement de la 2e Région Militaire que les Ardennes n'étaient pas infranchissables pour les blindés, ne put que constater la faiblesse de ses troupes. Le DAA devint IXe Armée fin octobre 1939, mais son renforcement fut lent et réalisé avec mauvaise volonté, malgré les demandes répétées de son chef.

Il faut bien se rappeler que,  à cause de ses demandes répétées, Corap, bien que toujours très bien noté, était très mal vu par ses supérieurs qu'étaient le GA Gaston Billotte, commandant le Groupe d'Armées n°1 et le GA Maurice Gamelin, le généralissime. Il était en revanche ami du GA Alphonse Georges, commandant le front nord-est et rival de Gamelin. Ce dernier n'hésita pas, lors d'une inspection, à déclarer à son subordonné qui lui exposait ses problèmes : "Mais la Meuse Corap, ne m'intéresse pas"... On comprend là toute la responsabilité du commandant en chef des armées alliées dans le désastre qui se prépare car c'est lui qui fixa la stratégie française et répartit les moyens en fonctions.

Le 10 mai 1940, lorsque l'armée allemande passa à l'offensive, la IXe Armée dut se porter sur la Meuse, entre Sedan et Namur. Elle disposait de deux Divisions Légères de Cavalerie et d'une brigade de spahis chargées de couvrir la mise en place de ses Divisions d'Infanterie, en opérant des combats retardateurs loin sur la rive droite de la rivière. Selon les règlements, l'Armée devaient disposer d'une douzaine de DI mais n'en reçut que sept, dont deux furont tenues en réserve ; trois Battaillons de Chars de Combat complétaient les forces terrestres mais l'un d'eux était encore équipés de char Renault FT, impropres au missions de guerre. Les DI étaient majoritairement des unités de série B, donc composées de réservistes de 30 à 40 ans et n'avaient pas leur dotation en armes antichars complète. La Meuse constituait un obstacle anti-char naturel, croyait-on en haut-lieu...

En fait la IXe Armée manquait de tout : véhicules (déficit de 20% en camion et 70% en moto !), transmissions (25% de déficit moyen), armements antichar (50%) et antiaérien (80% et il y avait pénurie nationale de munitions de 20 et 25 mm alors que ces armements devaient protéger les DI et DLC). De plus bien des fortifications légères frontalières n'étaient pas achevées. Mais plus grave, les troupes furent envoyées en Belgique, pour occuper des positions dont on ignorait tout ! 80% de la IXe armée se déplaçant à pied ou à cheval, certaines, n'y parvinrent pas assez tôt pour faire face au troupes allemands. Du reste auraient-elles pu stopper un assaut appuyer par l'aviation ? Il semble que les bombardements incessants eurent des effets délétères, comme dans le secteur de Sedan.

L'aviation fait son boulot !

L'aviation de la IX° Armée :

L'armée disposait d'une unité de chasse, le GC II/2 et d'une autre de reconnaissance, le GR II/52. Au matin du 10 mai 1940, son terrain fut bombardé par six Do 17 du  II./KG 76. Malgré l'intervention des MS-406 du GC II/2, deux Potez 63-11 partirent en fumée (ainsi qu'un ANF 115 du GAO 518), deux furent sérieusement endommagés et six plus légèrement ! Le potentiel groupe était donc très entamé puisque de onze appareils disponibles (sur dix-sept en dotation), il tomba à un effectif de trois à neuf avions disponibles !

Chacun des trois corps d'armée et des deux DLC disposait d'un GAO :

  • GAO 502 pour le 2e CAm ;
  • GAO 511 pour le 11e CA ;
  • GAO 544 pour la 4e DLC
  • GAO 547 pour le 41e CAF ;
  • GAO 2/551 pour la 1re DLC.

Aucun n'était complètement rééquipé en Potez 63-11, certains ne possédant pas la moitié de leur effectif. Les dotations et appareils disponibles sont visible sur ce lien. Notons que les appareils "de transition" ne furent que peu utilisés au combat, étant interdits de séjour au-dessus des lignes (j'y reviens plus bas).

De plus, dès le 10 mai après-midi, le GAO 2/551 fut mis sur la touche par un bombardement : trois appareils durent lui être prêtés par le GAO 502 pour combler les besoins de la 1re DLC. Un nouveau bombardement de la 9./KG 76, le lendemain matin, acheva le GAO et réduisit aussi le potentiel du GAO 502, par la même occasion. Cela n'empêcha pas le Cdt Rochard d'effectuer une "très fructueuse reconnaissance" pour la DLC, mais qui mit un troisième Potez 63-11 sur la touche.

Le GAO 544 fut également amputé de deux Potez (et un ANF) par un bombardement le 10 mai. Seuls les GAO 511 et 547 furent épargnés mais le premier dut déménager dès le 11 mai, puis à nouveau le 12 mai, abandonnant chaque fois un appareil. Outre entamer son potentiel, ces changements de nid à répétition ne durent pas faciliter son emploi.

Les informations rapportées par l'aviation dépendant de la ZOAN :

Le 10 mai, une reconnaissance nocturne du GR II/33 (opérant pour la 1re Division Aérienne)  permit de jalonner la progression ennemie. Les reconnaissances menées en matinée du 11 mai, permirent de faire la part des choses dans l'offensive allemande et à la ZOAN d'établir, dans son bulletin de renseignement : "L'ennemi semble préparer une action énergique en direction générale de Givet". Givet était en plein dans le secteur de la IXe Armée !

Le 12 mai, le bulletin de la ZOAN reprenait ces informations :

"Au cours de la nuit et dans la matinée, l'ennemi a fait un important effort dans la région des Ardennes en direction de l'ouest. D'importantes forces motorisées et blindées sont en marche vers la Meuse de Dinant, de Givet et de Bouillon, venant respectivement de Marche et de Neufchâteau."

Encore une fois, c'est bien le secteur de la IXe Armée qui est visé, ainsi que celui de la IIe Armée. Mais pour l'heure, en haut-lieu, on se déclare incapable de discerner l'axe principal de l'effort de l'ennemi.

Malgré ces informations, les hautes instances militaires alliés envoyèrent leurs bombardiers plus au nord. Mais, suite à des informations alarmantes venant du front de la IIe Armée, le GA Georges, décida, le 12 mai, d'affecter prioritairement les bombardement de nuit au profit de cette dernière. Toutefois son subordonné, le GA Billotte, commandant le GA 1, ne répercuta pas l'ordre mais le modifia en affectant la priorité à la Ire Armée ! Pourquoi ? parce qu'il jugeait la situation différemment ! Voilà un acte d’insubordination caractérisée et qui fut préjudiciable aux défenseurs de la Meuse, même si on peut douter de l’efficacité des Amiot 143 envoyés généralement en solitaire.

 

Carte montrant la mission de Lt Henri Chéry avec le "jalonnement" des unités blindés allemands

Carte montrant la mission de Lt Henri Chéry avec le "jalonnement" des unités blindés allemands

Les informations à la IXe Armée

Comme je l'ai écrit précédemment, les observations du Lt Henri Chéry, téléphonées par le Cdt Henri Allias, furent prises avec incrédulité et dérision par le chef du 2e Bureau de la IXe Armée, le Cdt Hosteing (peut-être François-Charles Hostein ?). Il en fut de même pour celles rapportées par les appareils du GR II/52.

L'utilisation des informations :

Pourtant, le 11 mai, les résultats d'une reconnaissance aérienne furent bien transmis au GA Corap : une colonne de cinq cent véhicules, composés en majorités de blindés, faisait mouvement depuis le nord du Luxembourg vers Marche-en-Famenne. Cette information était recoupée avec celles transmises par les deux DLC alors au contact et permirent au général d'arriver à la conclusion que l'ennemi faisait un effort sur les Ardennes avec plusieurs divisions blindées. Recevant cette information le groupe d'armées et le GQG cherchèrent à la faire confirmer, alors que le bulletin de renseignent de la ZOAN donnait déjà certains précisions nécessaires ! Manifestement, la communication entre les différentes armées n'était pas au point ! ou alors chacun s'ignorait superbement, ce qui n'est guère plus rassurant.

Les informations venant de la IIe Armée furent également corroborées le lendemain, notamment par la Cavalerie que Corap repliait avec trois jours d'avance sur les prévisions initiales du plan de bataille français. Le général demanda en outre des renforts au GQG. Si ni ce dernier, ni le GA 1 n'étaient capables alors de quantifier les troupes allemandes opérant dans les Ardennes, les résultats des reconnaissances aériennes et des DLC laissaient entrevoir à Corap que son armée était assaillie par au moins deux divisions blindés et plusieurs divisions d'infanterie ! De ce fait, le GB Gaston Roton, chef d'état-major du GA Georges, fit monter la 3e DCr, la 3e DIM et la 14e DI à la jonction entre les IIe et IXe Armée et plaça le 21e CA autour de Stonne, cela en prévision d'une éventuelle rupture du front par les allemands. Quatre régiment d'artillerie de la Réserve Générale furent également mis en route. Mais ces mouvements prirent du temps.

Le 13 mai au matin, on apprit que l'ennemi avait franchi la Meuse à Dinant, mais Billotte répondit à Corap, qui lui demandait des renforts supplémentaires, que sa situation ne le justifiait pas. Dans l'après-midi, c'est le franchissement de la Meuse à Houx par la 5. PzD la veille au soir, à la jonction de la 5°DIM (2°CAm) et de la 18° DI (11° CA) qui fut enfin connu (le GCA Julien Martin, commandant le 11e CA n'avait pas de liaison avec le PC de Corap). Dans le secteur de la IIe Armée, Sedan était conquise par l'infanterie allemande, permettant au Génie de jeter les ponts qui permettront au blindés allemands de traverser le fleuve dans la nuit. Mais la situation n'était pas encore jugée catastrophique : personne n'avait conscience du rythme des Allemands.

L'action de l'aviation d'observation de la IXe Armée :

En milieu de journée, le GR II/52 avait envoyé au moins quatre Potez en mission entre Ciney et Dinant, en amont du secteur que devait tenir le 11e CA et où se trouvait le XV. AK. Les quatre appareils rentrèrent à Laon/Couvron avec des dommages à causes des tirs au sol mais ils étaient réparables. Leurs équipages s'en sortirent indemnes. Ces mission furent sans doute déclenchées suite au coup de fil du GQG informant Corap que les allemands avait franchit la Meuse à Houx. Mais le groupe aurait peut-être pu rapporter ces informations plus tôt si l'appareil envoyé au premières heures de ce 13 mai ne s'était écrasé peu après le décollage.

En revanche le GAO 511 joua de malchance. Un premier appareil fut envoyé en fin de matinée entre Anthée et Yvoir, c'est-à-dire au nord du secteur tenu par le 11e CA, soit celui de la 5e DIM. Évoluant à basse altitude, le P. 63-11 fut abattu par la Flak et s'écrasa près de Dinant avec son équipage. À 17 h, le terrain de Signy-le-Petit fut visité par des Do 17 du II./KG 76 qui détruisent deux P. 63-11, deux P. 390 et un P. 58 de liaison. Il ne restait au groupe qu'un P. 63-11, alors en mission à ce moment là ! Encore une fois, la présence des MS-406 du GC II/2 n'a pas permis d'empêcher les bombardiers allemands de saccager le terrain français. Ils réussirent tout de même à endommager deux appareils. Mais deux chasseurs français furent également touchés et, plus grave, l'escorte put abattre trois appareils et leurs pilotes, dont le commandant du groupe, le Cdt Paul Bertrou, et son adjoint, le Cne Henri de Gail !

Le GAO 547 fut plus chanceux car il ne perdit aucun appareil. Le Cne Marcelin Marrast effectua à très basse altitude une reconnaissance particulièrement réussie, au cours de laquelle, il se permit de mitrailler des colonnes ennemies. Un autre citation, celle du C/C Dominique Martin, signale qu'il effectua une mission de reconnaissance à très basse altitude et à l'intérieur des lignes ennemies dans des conditions particulièrement périlleuses ; mais il y a peut-être confusion avec celle du lendemain, au cours de laquelle il fut capturé. Malheureusement, je n'en sais pas plus sur l'activité du groupe ce jour-là, ni sur celle du GAO 544.

Ainsi, au bout trois jours, et alors que la situation devenait grave pour elle, la IXe Armée venait de perdre deux groupes d'observation et son groupe de chasse se retrouvait décapité. Plus grave que cette simple constatation, les deux GAO annihilés étaient rattachés à deux unités qui étaient amenées à se battre ensemble : le centre du dispositif de Corap était donc quasiment aveugle et devait compter sur la coopération de ses voisins ou de l'armée, dont les moyens étaient également restreints ! Et c'est précisément dans ce secteur précisément qu'allaient s'engouffrer les deux divisions blindés du XV. AK.

L'action  des bombardiers :

La course contre la montre du Capitaine Gombeaud :

Une mission matinale du GAO 502 survola la 5. PzD et rapporta un renseignement cruciale : le mitrailleur avait vu des coups partir depuis la rive gauche de la Meuse à Yvoir, au-dessus de Houx, secteur de la 5e DIM, la seule division du 2e CAm. Le Cne Georges Gombaud téléphona les observations aux PC des FA puis prit un Mureaux pour transmettre directement ces informations au corps d'armée ; il y parvint à 13 h 30 et elles lui furent confirmées par d'autres sources. L'observateur prit alors l'initiative de déclencher une mission de bombardement.

Comme le chiffrement (obligatoire) du message ralentissait la procédure, l'officier d'Infanterie fut envoyé prendre langue directement avec le No. 12 Sqn, l'unité normalement prévu pour exécuter ce genre de demande. Il parvint au terrain d'Amifontaine à 18 h 05 mais il lui fallut encore téléphoner au quartier général pour apprendre que c'était une autre unité, le No. 88 Sqn, qui effectuerait la mission. Par acquis de conscience, le Cne Gombaud se rendit à Mourmelon, où il apprit, vers 19 h 30, après un nouveau coup de fil au QG que la mission était "annioulée" : le GQG avait jugé la situation à Sedan beaucoup plus préoccupante et requiérait toutes les forces de bombardement pour le lendemain.

Une journée avait été perdue pour obtenir cette mission capitale et, en fin de compte, elle n'eut donc pas lieue... le haut-commandement français ne semblait pas prendre la mesure de la situation. À moins qu'il cédât à la même panique que les troupes françaises à Bulson...

Les bombardiers français entrent quand même en action :

Dans la matinée, suite aux informations rapportées par des Amiot 143 dans la nuit, le GA Billotte avait mis la IIe Armée en tête des priorités pour l'appui aérien. Selon lui, il fallait s'attendre à une attaque générale à base de blindés et d'aéronautique dans les deux ou trois jours... on sait aujourd'hui que c'était une question d'heures et non de jour (même si les chars n'attaquèrent que le 14 mai). Mais dans la journée, le GA Georges, informé de la situation à Houx, demanda qu'une contre-attaque de l’aviation fût lancée en fin d'après-midi dans ce secteur, où l'ennemi avait lancé une tête de pont. Cela devint d'autant plus possible que la IIe Armée informa qu'elle tenait les chars allemands sous le feu de ses canons et n'avait donc pas besoin de l'action des bombardiers*.

Et cette décision porta ses fruits puisque dix LeO 451 du Groupement de Bombardement n°6 prirent l'air à 18 h ; ils étaient escortés par les MB-152 du GC I/8. C'est là tout l'effort que put faire l’aviation de bombardement française. Et encore, ces avions furent-ils envoyés bombarder l'île de Houx certes, mais aussi les colonnes blindés entre Ciney et Dinant. Belle dispersion de nos maigres moyens ! À causes d'ennuis divers, ils n'étaient plus que sept à se présenter sur leurs objectifs. Obligés de voler à 600 m d'altitude à cause du plafond, ils furent cueillis par la Flak qui endommagea les quatre appareils du GB I/12. Elle fut encore plus efficace contre ceux du GB II/12 puisqu'elle obligea deux bombardiers à rebrousser chemin avant d'avoir pu faire leur office. On peut donc douter de l'efficacité des bimoteurs français. Dans la nuit, Ciney fut une nouvelle fois la cible... d'un unique Amiot 143 du Groupement de bombardement n°9 ! Difficile de croire qu'il fut d'une quelconque efficacité.

Au soir, apprenant la situation de ses troupes à Houx, Corap téléphona au GQG pour obtenir un appui aérien massif qui lui fut promis pour le lendemain. Mais dans la soirée, la prise de Sedan connue, c'est cette ville qui devint le centre de toute l'attention des alliés. Ainsi le GCA Marcel Tétu, commandant les Forces Aériennes de Coopération jugea que la priorité entre Sedan et Houx est de 1 million à 1 ; voilà qui explique la déconvenue du Cne Gombeaud. Et bien que le commandant de la IXe Armée obtînt la confirmation du GQG que l'aviation de la ZOAN allait travailler à son profit et à celui de l'aile gauche de la IIe Armée. L'armée allemande, elle, mit le paquet, comme en témoigne l'historique du 6e BCC :

"Au cours de cette journée, toutes les actions se déroulent sous le tir infernal de l'aviation ennemie qui harcèle les moindres détachements, alors que les mouvements sont déjà ralentis par les obstructions de matériels de toutes sortes détruits, les trous de bombes et les cadavres de chevaux morts. [...]

A 5h30, la liaison est prise (château de la Neffe) [avec le 2e CA], qui lui prescrit de se porter à Denée, où elle parvient à 8 heures. La route Maison - gare de St-Gérard est tenue en permanence sous les bombes de l'aviation allemande."

* il semble qu'elle ralentit le déploiement de la 2. PzD. mais une fois les batteries mise hors d'état de nuire par le génie de la 1. PzD, plus rien ne s'opposait à la division blindée.

Un peu de relativisme :

Pour comparer, on peut rappeler que les allemands mirent en œuvre près de six-cent bombardiers "classiques" et deux cent cinquante Stuka entre Flize et Mouzon avec un effort principal contre Sedan, le 13 mai ! Le front de la IXe Armée ne fut pas non plus oublié. Mais à cette date l'aviation française était incapable de rassembler autant de bombardiers modernes sur tout le front, même avec l'aide des britanniques.

En effet, le Groupement d’assaut n°18 venait de se faire étriller la veille et revenait sur sa méthode d'action ! Quant aux autres groupes de bombardiers modernes de l'armée de l'Air, ils n'étaient pas encore opérationnels. Sur les trois escadrilles de bombardements en piqué de la Marine, une, l'AB3, avait été annihilée par un bombardement dès le 10 mai et les deux autres opéraient en Hollande. Une quatrième était encore à l'entraînement, à Cherbourg.

Dès lors notre aviation avait une capacité de nuisance des plus limitées. Nous aurions pu nous appuyer sur celle des britanniques et notamment l'AASF. Mais dès le 12 mai, le GCA Tétu avait demandé à ce qu'elle appuyât les troupes du BEF, opérant plus au nord en Belgique : ces Battle avaient donc d'autres chats à fouetter, même si, on l'a vu, au moins un squadron, devait pouvoir appuyer les français.

Il est intéressant de noter que cet unique bombardement diurne, certainement effectué à la demande d'un échelon supérieur à la IXe Armée, fut effectué sa corrélation avec les contre-attaques des 5e DIM et 18e DI, prescrites par Corap. Ce n'est qu'à cause de retard dus à l'action de la Luftwaffe que les deux eurent lieu aux mêmes moment. Et encore, le 39e RIM ne put atteindre ses bases de départ à temps et il semble que seule la 3e compagnie du 6e BCC (sur R35) et l'escadron de H39 du 4e RAM (4e DLC) soient passés à l'attaque. Rien ne fut fait pour appuyer la contre-attaque du 129e RIM pour reprendre Haut-le-Wastia à la 5. PzD, qui eut lieu en milieu de journée, ni pour empêcher la Luftwaffe de bombarder les renforts français.

Carte montrant les bombardements alliés dans le secteur de la percée allemande (positions franaçises au 13 mai)

Carte montrant les bombardements alliés dans le secteur de la percée allemande (positions franaçises au 13 mai)

Le 15 mai, journée fatidique :

Le 14 mai, entre Houx et Dinant, l'ensemble des 5. et 7. PzD allaient réussir à franchir la Meuse et le 7. IR enfonçait les lignes précaires de la 18e DI (11e CA). Plus a sud, à Monthermé, dès le 13 mai, le III/4. IR (6. PzD) avait réussi à traverser la Meuse et à percer la lignes de fortification de la 42e DBMC (102e DIF), qui tenait cependant une ligne de défense dans le saillant, au sud du confluent de la Semois. Ce 15 mai, la poussée allemande et les contre-attaques françaises, notamment celle de la 1ère DCr, se poursuivaient ; l'aviation alliée se rappela aux bons souvenirs de la IXe Armée et du nouveau détachement d'armée, commandée par le GA Robert Touchon, qui venait de récupérer le 41e CAF, la 53e DI et la 3e brigade de Spahis ainsi que la 5e DLC (anciennement à la IIe Armée).

Toutefois cet effort ne constitua qu'en seize sorties des LeO 451 et Bre 693 contre Monthermé dans l'après-midi !  Deux des trois LeO 451 du GB II/12 revirent avec des dommages. Notre aviation d'appui était défaite et il ne fut pas fait appel aux groupes du GIABSE, donc certains disposaient de MB-210, certes dépassés, mais moins anciens que les Amiot 143 envoyés de jour à Sedan, la veille. Heureusement la RAF vint en appoint grâce aux Blenheim du No. 2 Group. Deux raids furent entrepris contre Monthermé par deux autres escadrilles, dont une de l'AASF, sans perte ; mais deux chasseurs du GC II/1 furent abattus (un pilote tué) par la 3./JG 53 et deux autres furent endommagé (trois chasseurs allemands furent endommagés). Les Battle, étrillés la veille à Sedan, parachevèrent le travail nuitamment. En vain puisque la 6. PzD pourra percer les lignes de la 102e DIF et menacer le GR II/33, en parvenant à une vingtaine de kilomètres de son terrain, l'obligeant à déménager en urgence pour Soisson/Saconin.

Encore une fois, les alliés parèrent au plus pressé, "oubliant" quasiment les blindés du XV. AK pour se concentrer contre ceux XLI. AK. En fin de matinée, les hommes des 2e CAM, 11e CA et de la 1ère DCr bénéficièrent de l'action de douze Blenheim qui bombardèrent Dinant, sous l'escorte de trois squadron de Hurricane ; deux bombardiers du No. 40 Sqn et un chasseur du No. 615 Sqn furent abattus et un Blenheim du No. 15 Sqn fut endommagé contre deux chasseurs allemands. Sinon les soldats français durent se contenter de l'action des Potez du GAO 502 dont deux appareils furent endommagés irrémédiablement par la Flak. L'un deux, embarquant le commandant du groupe comme observateur, se permit de mitrailler les allemands jusqu'à épuisement des munitions et ce, en dépit, de la forte présence de la chasse allemande depuis quelque jours ; par miracle, il ne fut pas intercepté durant les trois heures que durèrent sa mission ! Malheureusement, cela n’empêcha pas la 7. PzD de forcer les lignes de la 18e DI d'atteindre Froid-Chapelle à minuit. Comme il est écrit dans le journal de marche et d'opérations du 28e BCC (1ère DCr) : "À aucun moment, le bataillon n'a reçu le moindre appui, ni de l'infanterie, ni de l'artillerie, ni d'autres chars, pas plus que de l'aviation, alors que le champ de bataille a constamment été survolé par l'aviation ennemie". Un Ju 87 de la 4./StG 2 appuyant son avancée fut d'aileurs abattu par la DCA, près de Philippeville, tandis qu'un Hs 126 de la 2.(H)/31 (Pz), escadrille rattachée à la 5. PzD, fut également atteint par les français près de Beaumont.

Mais l'aviation de renseignement  de la IXe Armée commençait à être à bout de souffle car il fallut demander le concours du GC II/2 en fin d'après-midi pour reconnaître l'avance de la 6. PzD à Montcornet ; en raison de son faible potentiel, les missions de chasse furent alors assurées par d'autres groupes comme les GC I/3, III/2, II/4 et III/7, qui semblent avoir principalement opéré dans le triangle Charleroi - Namur - Dinant (six chasseurs français abattus et cinq endommagés contre deux appareils allemands abattus et deux endommagés).

Ce 15 mai, tout le front de la Meuse qui s'effondrerait, entraînant la pire défaite qu'ait connu la France. La  IXe Armée est en pleine décomposition, l'État-Major totalement désemparé, écrira Henri Alias dans Icare. Face au XV. AK, les soldats français tentaient de rejoindre au plus vite les positions "fortifiées" de la frontière, tandis que, plus au sud, dans le secteur de ce qui allait devenir la VIe Armée, seule la 2e DCr restait pour contrer la 6. PzD. Cela faute de troupes suffisantes, mais aussi d'un soutien aérien réfléchi.

De la mauvaise gestion :

Une mauvaise gestion de l'armée de Terre :

Comme il a été écrit par de nombreux auteurs, l'aviation de bombardement française aurait dû intervenir contre les colonnes, dès les premiers jours du conflit, alors qu'elles étaient encore bloquées dans les Ardennes et au-delà. Mais comme c'était l'armée de Terre qui décidaient des missions, elle utilisa l’aviation selon ses besoins du moment, c'est-à-dire avec une vision court-termiste de la situation, au gré de l'apparition des urgences. Au lieu d'agir préventivement, les terriens gaspillèrent nos maigres moyens, et ceux plus conséquents des britanniques, dans des attaques lancées au fur et à mesure des catastrophes terrestres. À chaque fois, nos bombardiers furent utilisés comme un extincteur sur un incendie déjà bien développé. Il ne vint visiblement à l'idée d'aucun général que frapper les colonnes repérées couperait les pattes des unités avec lesquels nous étions aux prises. Il ne leur vint pas à l'esprit qu'un pont est un objectif difficile à atteindre pour un bombardier classique et, qu'au demeurant, il peut se reconstruire rapidement.

L'étude des actions de ce début de campagne montre comment nos officiers, pas seulement les généraux, avait une pensée figée et pétrie de dogmes. La suite des évènements a montré qu'ils étaient souvent restés sur les données de la guerre précédente qui les arrangeaient et étaient incapables de s'adapter aux tactiques de l'ennemi et, surtout, à son rythme d'attaque. Non seulement, nous avons subi les actions offensives de l'ennemi, mais nous n'avons quasiment jamais cherché à les parer. Le manque de matériel moderne explique en partie cette attitude, mais elle est majoritairement dû aux conceptions des généraux effectuant les demandes de mission de bombardement. Et jamais dans la campagne, on ne changea cette façon d'agir : guérir plutôt que prévenir. Malheureusement la gangrène s'avéra fulgurante sans aucun traitement de cheval disponible pour l'arrêté.

Mais quand bien même certains auraient voulu s'adapter à cette "nouvelle" forme de guerre, les carences de l'armée en matière de transport et de transmission n'auraient pas permis la moindre mise en pratique sans une profonde refondation. Par exemple, les allemands mirent au point le trio : avion d'observation - chars - Stuka.  Cette association était impossible à réaliser dans nos forces armées, ne serait-ce que parce que, contrairement aux Panzern, la plupart de nos char ne disposaient pas, ne serait-ce que d'un récepteur radio. D'un autre côté, rien ne fut fait pour mettre en place la doctrine de collaboration Air - Terre développée avant-guerre, même si elle avait des insuffisances, notamment en ce qui concerne les transmissions.

Une non-application de la doctrine :

Contrairement à nous, les Allemands utilisèrent intelligemment leur avion d'observation pour renseigner leurs unités au sol. Ainsi, comme l'écrit Many Souffan dans Avions, à propos des combats du 14 mai 1940 :

"Il est étonnant ici de voir la différence de réactivité entre les Français et les Allemands. Il s'est écoulé plus de onze heures entre la demande de contre-attaque du général Gransard et sa mise en pratique par le général Lafontaine. La réponse du général Kirchner ne prendra, elle, qu'une dizaine de minutes."

En effet, un Hs 126 de la 2.(H)/23 avait repéré la concentration de la 55e DI, appuyée par deux BCC, et avait transmis directement cette information par radio au commandant de la 1. PzD, qui se tenait dans son véhicule de commandement, sur la cote 301. Un autre appareil de cette escadrille avait ensuite observé les axes d'attaque et en avait également informé rapidement le commandement. Ainsi, le général allemand put positionner ses chars pour contrer efficacement la contre-attaque et lui et son supérieur, Heinz Guderian, purent suivre la bataille "en direct" grâce aux appareils d'observation. Au contraire, leurs homologues français attendait les comptes-rendus dans leur PC ; quand le téléphone ne fonctionnait pas, ils étaient transmis par estafettes (sauf dans le cas du GCA Martin au GA Corap, le 12 mai) !

Cette conception de la bataille n'était pas inconnue des français, nous l'avons déjà écrit. Comme l'écrivit Georges Gombeaud au sujet des Mureaux de son GAO, dans Icare :

"Il est regrettable qu'on n'ait pas pu les baser très à l'avant, et les utiliser pour des tâches d'observation rapprochées, qui ont cruellement manqué. Mais rien n'était réalisé de ce qui aurait permis de s'y risquer. Ils furent d'ailleurs juste assez nombreux pour les liaisons qu'ils eurent à faire."

Reconnaissons que le discours de Georges Gombeaud est celui d'un officier de l'armée de Terre et que l'armée de l'Air avait une volonté tout autre, malgré les décision prises des 1938 par ses chefs.

Rappelons que dès octobre 1939, nos ANF 115 et 117 furent condamnés à un retrait rapide. Pourquoi ? parce que ces appareils étaient trop lents pour échapper aux Bf 109. Cela se tient. Mais n'oublions pas également que notre chasse fut incapable de conquérir la supériorité aérienne durablement. C'était pourtant un des enseignements du précédent conflit, un enseignement découvert en 1916 et que l'offensive du Chemin des Dames était venu confirmé l'année suivante. Ce prérequis à l'utilisation des appareils d'observation avait-il été oublié ? On peut se poser la question car force est de constater que les moyens ne furent pas mis en œuvre.

Le 14 mai 1940, concernant le groupe de chasse affecté à la IXe Armée, selon les auteurs de la rédaction du magazine Avions :

"Le groupe [II/2], rudement mis à l'épreuve la veille, se contente vu son faible potentiel de quelques sorties de destructions et de couverture de terrain."

En réalité, il n'y eu qu'une mission de destruction en matinée, effectuée par une patrouille triple. Elle occasionna la perte de deux appareils et d'un pilote ; un troisième Morane fut endommagé mais il était réparable. Si le GC I/8, sur MB-152 avait opéré la veille en protection des LeO 451, il était cette fois engagé dans le secteur de Sedan (deux missions) et en couverture de son terrain (trois missions).

D'autres MB-152 étaient alors présents à Laon/Couvron, représentant l'équivalent de deux groupes de chasse*. Mais ils opérèrent de façon "isolée", une moitié d'entre eux restant en couverture du terrain, l'autre étant partagée entre les IIe et IXe Armées. Il faudra attendre la fin d'après-midi pour que les appareils des GC II/1, II/10 et III/10 sortent en masse afin de couvrir le déploiement de la 1ère DCr entre Dinant et Yvoir ; aucune action offensive n'est à voir là-dedans, car il s'agit bien de protéger les troupes au sol des bombardements comme ceux connus la veille et non de balayer le ciel préventivement. Si l'on constate une forme d'adaptation, on ne peut que constater le caractère trop timoré des actions effectuées.

Toutefois, nuançons en rappelant que les Hs 126 allemands, aux performances proches de celles des Mureaux, subirent eux aussi de lourdes pertes malgré la maîtrise de l'air par la chasse allemande, que ce soit au-dessus de la France ou bien de la Pologne. Ainsi le 14 mai, cinq furent perdus face à la chasse française dans le secteur de Sedan, tandis qu'un sixième fut endommagé dans le secteur de Dinant. Mais il faudrait rapporter ces pertes au nombre de sorties effectives pour avoir une idée plus précise du danger encouru.

On pourrait faire un constat similaire pour le 15 mai, sachant que les huit groupes de chasse engagés durent se partager entre les secteurs de la IXe Armée et celui de la IIe Armée.

* Une escadrille des GC II/1, II/10 et III/10 restait en couverture de la région parisienne... qui ne fut nullement visée. Trop grande prudence du commandement ou mauvaise volonté du GBA Armand Pinsart de prêter ses unités ?

Occasions perdues :

On ne put donc profiter de l'équipement mixte des GAO pour glaner les renseignements nécessaires à la conduites des opérations et accompagner nos combattants au sol. Il est également évident que, dans une région boisée comme celle des Ardennes, l'apport de l'aviation d'observation demeurait moins fructueux qu'au-dessus de la plaine du nord de l'Europe. De plus, l'emploi des ANF 115 et 117 en mai 1940 eut été de toute façon moins fructueux que celui des Hs 126, à cause principalement de l'organisation des transmissions françaises et de leurs déficiences.Mais comme on ne tenta rien, on en saura jamais ce que cela aurait pu changer. Il aurait été, en outre, extrêmement risqué pour les équipages.

De même, on préféra concentrer les moyens de bombardement, notamment ceux des britanniques sur Sedan, alors la situation était à peine plus enviable sur le front de la IXe Armée. Or ils subirent de lourdes pertes pour un résultat négligeable. Et le lendemain, quand la situation s'avéra catastrophique dans ce secteur, il ne restait qu'une peau de chagrin pour tenter d'essuyer cette tache. Le GIABSE ne fut pas mis à profit, sinon que pour livrer des appareils neufs... La vision de la situation (et peut-être aussi des complications administratives) - Joseph Vuillemin n'avait la main que sur les unités de combat - ne justifiait cependant pas forcément aux yeux des décideurs que l'on retardât davantage la modernisation de notre aviation de bombardement... à moins que l'on en considérait tout simplement ses unités comme impropres au combat.

En se cramponnant à ses idées, le commandement perdit de vue l'importance des renseignements apportés par l'aviation. Il se priva d'une opportunité d'arrêter les allemands et de les ramener à une stratégie plus proche de ses conceptions de la guerre. Le retour de bâton fut d'une violence terrible et fit s'écrouler toute la société française. On sait aujourd'hui que c'est sur la Meuse que l'on perdit la bataille et, avec elle, la guerre. À l'époque c'était moins évident avant que le désastre ne se produise mais il est évident que la façon d'utilisé l’aviation, en particulier les bombardiers, causa en partie notre perte. Il est illusoire de penser que nous aurions exterminer les blindés allemands dans les Ardennes, mais peut-être aurions nous pu au moins gagner le temps nécessaire à la mise en place de notre ligne de défense.

Sources :

  • Citations à l'ordre de l'Armée Aérienne valant attribution de la Croix de Guerre avec palme du Cne Marcelin Marrast et du C/C Dominique Martin, in JORF du 27 août 1940
  • Historique du 6e BCC et journal de marche du 28e BCC sur chars français.net
  • Alias H, Le II/33 avait VU les allemands percer sur la Meuse, in Icare n°57 1971
  • Collectif, Le Morane-Saulnier MS-406, Histoire de l'Aviation n°5, Lela presse 1998
  • Cornwell P, The battle of France then and now, After the battle 2007
  • Danel R, Au service de l'armée de Terre, in Icare n°59 1971
  • Frieser K-H, Le mythe de la guerre-éclair, la campagne de l'Ouest de 1940, Belin 2003
  • Ehrengardt C-J, Le bombardement français tome 1, Aérojournal HS n°5 2003
  • Gelée M, La percée des Ardennes vue d'en haut, in Icare n°57 1971
  • Gombeaud J, Quand l'élégance le disputait à la misère, in Icare n°59 1971
  • Joanne S, Le Bloch MB-152, Histoire de l'Aviation n°13, Lela Presse 2003
  • Schiavon M, Corap, bouc émissaire de la défaite de 1940, Perrin Biographie, Perrin 2017
  • Souffan M, Les Henschel 126 du 14 mai 1940 : mission parfaite ou tragique méprise du GC III/7 ?, in Avions n°177 2010
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