Combat nocturne

Publié le par Romain Lebourg

Premier combat de nuit !

Lorsque l'on parle combat aérien nocturne, on pense tout de suite au Blitz ou aux raids britanniques sur l'Allemagne : des chasseurs nuits pourchassant un flots de bombardiers venus décharger leur cargaison de mort sur des civils innocents. Et pourtant, le premier combat aérien nocturne de la guerre dont j'ai connaissance ne ressemble en rien à cela !

Un jour marqué par... la poisse

Un groupe frappé par la guigne :

En ce samedi 9 septembre 1939, l'offensive limitée en Sarre bat son plein. Sur le front de la IVe Armée, le 20e Corps d'Armée est parti à l'assaut et son activité est soutenu par le Groupe Aérien d'Observation 1/520. Mais l'armée a également besoin de renseignements. Et c'est à son groupe de reconnaissance qu'elle les demande.

En fin de matinée, le 14e Groupe Autonome d'Aviation a donc envoyé deux de ses Bloch MB-131 photographier la ligne Siegfried. Tous les deux ont été interceptés par la chasse allemande et un seul a pu rentrer se vacher sur son terrain... Trois aviateurs ont été tués et trois sont blessés (l'un d'eux décédera dans la journée, alourdissant le bilan de cette mission). Parmi les morts, figure quand même le chef de la 2e escadrille, le capitaine Pierre Fion ! Dure journée pour le groupe, donc.

Mais à ces deux missions diurnes doit succéder une troisième, nocturne celle-là. Et elle commence mal puisqu'à peine l'avion a-t-il décollé, qu'un premier incident est à déplorer. En effet, il s'avère impossible de joindre la voiture radio du groupe car le poste embarqué est victime d'un brouillage ! Et pour l'opérateur radio, c'est la faute d'un poste allemand !

Quand l'improbable se produit

À 1 800 m au-dessus de l'Allemagne, le Bloch 131 doit suivre l'itinéraire Sarrebruck - Kreuznach - Neunkirchen et retour par Homburg. Néanmoins, avant d'atteindre la frontière, il change de route toutes les minutes. Simple précaution. Mais vers 22 h 40, alors qu'il se trouve au-dessus de de la région de Friedrichstahl, l'adjudant-chef Auguste Berthe1 entend alors un crépitement ! Tournant la tête vers la gauche, il aperçoit une masse noire qui passe et dégage en montant vers la gauche2. Il ordonne alors au pilote d'effectuer une manœuvre de dégagement.

À l'issue de cette dernière, il aperçoit une masse sombre engager une nouvelle attaque, qui avorte. Une nouvelle manœuvre, plus prononcée, est donc tentée et mène l'appareil à... 300 m d'altitude ! Mais on ne se débarrasse pas de la chasse allemande aussi facilement ! En effet, le capitaine Louis Piriou voit alors, sans rien, entendre les deux adversaires qui passent devant le Bloch à sa hauteur en donnant l'impression de vouloir le couper de sa route3. Les appareils allemands disparaissent ensuite...

Bien qu'ils aient rejoints le poste avant et la tourelle dorsale, ni l'observateur, ni l'opérateur radio n’auront l'occasion de tirer sur les assaillants.

Carte montrant les lieux des combat, d'après les rapports français.

Carte montrant les lieux des combat, d'après les rapports français.

Mais qui étaient ces "masses noires" ?

Il faut se rappeler que la chasse de nuit, à cette époque du conflit, est encore balbutiante. Selon Christian-Jacques Ehrengardt :

"Au 1er septembre 1939, il n'existe que quatre Staffeln "spécialisées" - encore que ce terme soit sans doute excessif pour désigner des escadrilles équipées d'avions démodés que rien ne distingue des versions de jour, pas même le camouflage. Elles sont en outre peuplées de pilotes suffisamment doués pour voler aux instruments mais qui, pour des raisons de comportement de discipline ou autre se sont retrouvés mis au placard dans ces formations de seconde zone."6

La défense nocturne de l'Allemagne repose en fait largement sur sa DCA : canons antiaériens et projecteurs.

Quelle unité est susceptible d'avoir intercepté le Bloch ?

L'identification des agresseurs du MB-131 est assez ardue. En effet, il n'existe logiquement pas de revendication allemande correspondant à ce combat. De plus, les rapports consultés aux archives ne donnent aucun détail sur les agresseurs. Du reste, les aviateurs français ne les ont probablement pas suffisamment bien vus pour pouvoir les identifier.

À ce stade du conflit, la chasse de nuit allemande est loin d'être pléthorique. Sur le front Ouest, elle se limite à deux uniques escadrilles :

Unité Matériel Base
10.(N)/JG 26

Arado Ar 68 E
Messerschmitt Bf 109 D

Bonn-Hangelar
10.(N)/JG 72 Arado Ar 68 F Mannheim-Stadt

L'unité la plus proche est donc la 10e escadrille de chasse de nuit de l'escadre (de chasse) 72. Ses Ar 68 F ont une vitesse de pointe de 305 à 330 km/h selon les sources, ce qui est suffisant pour rattraper un MB-131 en vitesse de croisière. Mais l'est-ce pour soutenir le combat ? Dans l'hypothèse où les 330 km/h à l'altitude de la mer sont corrects4, il semble bien puisque le MB-131 ne dépasse qu'à peine les 300 km/h à la même altitude5. Il est donc possible que l'équipage français est eu affaire à un, voire deux Ar 68 F de la 10.(N)/JG 72.

Comment le Bloch a-t-il été repéré ?

En septembre 1939, le radar embarqué n'équipe pas encore grand-monde. La chasse de nuit se fait encore "à vue", parfois avec l'aide de projecteurs qui illuminent votre cible... enfin quand tout fonctionne bien. Cette nuit-là, aucun projecteur n'a été allumé.

Comment les Allemands ont-ils donc repérés l'appareil français ? Les Français ont suspecté le brouillage entendu dans la radio d'être à l'origine de la détection. Cependant, le poste radio du bord ayant cessé rapidement d'émettre, l'ennemi n'aurait pas pu suivre le Bloch ainsi.

Fin septembre, il existera deux radars Freya sur la colline Helenenberg, près de Trêve. Mais pour l'heure, l'un d'eux est-il opérationnel ? Qui plus est les interceptions ultérieures menées de jour en baie d'Heligoland révéleront des carences dans les liaisons phoniques et la confiance accordée par la Luftwaffe à cette technologie. Enfin, les expériences de guidage de chasseur de nuit par les Freya, n'ont été tentées que durant la bataille d'Angleterre... soit preque un an après ce combat !

Comment conclure ?

Faute d'avoir accès aux archives allemandes, je ne peux qu'avancer des hypothèses, sans pouvoir les (in)valider. Il est possible que l'interception soit, en réalité, le fait du hasard et que le(s) chasseur(s) allemand(s) ai(en)t repéré le Bloch simplement grâce aux lueurs de ces échappements (souvent très visibles de nuit). Pour moi un éventuel repérage du Bloch par son émission radio ne peut expliquer la réussite de l'interception et le guidage suite à une détection par radar me parait anachronique.

Le Bloch MB-131 n°109 de la 2° escaadrille du 14° GAA, en 1939.

Le Bloch MB-131 n°109 de la 2° escaadrille du 14° GAA, en 1939.

Ce combat aérien, à ma connaissance le premier à avoir eu lieu de nuit, laisse donc beaucoup de questions en suspend. Il mérite un travail dans les archives allemandes, ne serait-ce que pour vérifier qu'il y a bien eu une activité de chasse nocturne cette nuit-là. Si telle est le cas, cela permettrait également de comprendre comment le(s) chasseur(s) allemand(s) s'est(se sont) retrouvé(s) face au Bolch. Car l'étude de l'activité aérienne du 14e GAA ne montre pas d'interception nocturne ultérieure. Cela ne signifie pas qu'elles n'ont jamais été tentées... juste qu'elles n'ont pas eu lieu. Il semble toutefois, à l'aune de mes connaissances actuelles, que ce ne sont pas ces vols de reconnaissance nocturne qui aient concouru aux développement de la chasse de nuit allemande, mais plutôt les bombardement britanniques7.

Notes :

1 L'équipage était constitué comme suit :

  • pilote : sergent-chef René Burckhardt
  • chef de bord : adjudant-chef Auguste Berthe
  • observateur : capitaine Louis Piriou
  • opérateur radio : sergent ? Morel (je n'ai pas retrouvé son prénom)

2 Général R de Boysson, Extrait d'un compte-rendu de mission effectuée dans la nuit du 9 au 10 septembre sur Bloch 131 au groupe autonome d'aviation, 15 septembre 1939.

3 Ibid

4 Donnée issue de la page Wikipedia sur l'appareil (en anglais) ; c'est la plus précise que j'ai trouvée.

5 La fiche monographique publiée dans Batailles Aériennes n°3 et donne : 300 km/h au niveau de la mer et 385 km/h à 4 000 m (cette dernière donnée également par Aviafrance). Dominique Breffort, dans L'aviation française de 1939 à 1942 tome 1, indique 302 km/h au niveau de la mer et 347 km/h à 3 700 m.

6 Ehrengardt C-J, Nachtjagd I - Les baldaquins de Kammhuber, in Aérojournal n°21 avril-mai 2011, p 56

7 Ainsi, la création du premier groupe de chasse nuit, par regroupement de trois des escadrilles "autonomes" en février 1940, répondait au besoin de protéger les ports de la mer du Nord, cibles du Bomber Command durant l'hiver 39-40.

Sources :

  • Journal de marche et d'opérations du 14e GAA puis GR I/14
  • Compte-rendus de missions du GAO 1/520
  • Extrait d'un compte-rendu de mission effectuée dans la nuit du 9 au 10 septembre sur Bloch 131 au groupe autonome d'aviation, par le Gal R de Boysson, commandant les forces aériennes et les forces terrestres antiaériennes de la IIIe Armée
  • Breffort D & Jouineau A, L'aviation française de 1939 à 1942 : chasse, bombardement, reconnaissance tome 1, coll. Avions et pilotes n°7, éd. Histoire & Collections 2004
  • Cony C, Les combats aériens de la Drôle de guerre, Batailles Aériennes n°3, novembre-décembre 1997-janvier 1998
  • Ehrengardt C-J, Nachtjagd I - Les baldaquins de Kammhuber, in Aérojournal n°21 avril-mai 2011

 

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