Mythe 4 : coopération air-sol

Publié le par Romain Lebourg

Les mythes de l'armée de l'Air

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Mythe 4 : l'absence de coopération air-sol

Une des raisons mises en avant pour expliquer notre défaite est l'absence de coopération entre l'armée de l'Air et nos troupes au sol. Il m'est même arrivé de lire que nous n'avions aucune doctrine en la matière ! Or, c'est faux : la doctrine existait. Du reste, c'est assez logique puisque, que comme la Wehrmacht Luftwaffe, l'armée de l'Air devait tourner son action vers la coopération avec les forces terrestres.

Un héritage de la Grande Guerre :

Les technique de coopération entre l'aviation aux armées et les combattants au sol ont été mises au point durant la première guerre mondiale. C'est essentiellement l'Artillerie qui a motivé cela. L'Infanterie n'a fait que reprendre le système à son compte.

Le problème, c'est qu'ensuite les choses n'ont pas tellement évolué... Lorsqu'il a fallu adopter un nouveau matériel radio, on est resté sur le "bon vieux" système d'un émetteur dans l'avion et un récepteur au sol avec des panneaux en toile pour répondre à l'avion. L'Infanterie s'en satisfaisait et s'en satisfit jusqu'en en 1939-40.

De même, contrairement à leurs homologues de la Wehrmacht, les décideurs de l'armée de Terre, le général Gamelin en tête, ne croyaient pas en l'intérêt de faire intervenir des bombardiers sur le champ de bataille. Pour eux ces appareils devaient opérer au-delà de la zone d'action de l'Artillerie. De plus, le culte du secret étant tellement prégnant, l'usage de la radiophonie n'a pas pu s'imposer, malgré ses indéniables qualités, notamment pour réduire la durée des contrôles de tirs. Et les réticences perdurent en "haut-lieu", en 1939-40...

Le poste récepteur R11, conçu peu après la Grande Guerre et toujours en service à l'entrée en guerre !

Le poste récepteur R11, conçu peu après la Grande Guerre et toujours en service à l'entrée en guerre !

Une doctrine, mais quelle doctrine ?

La coopération avec les combattants au sol revenait aux appareils de l'escadrille d'observation des GAO. Selon les textes en vigueur, ils avaient trois missions, par ordre de priorité :

  • renseigner le commandement ;
  • coopérer avec l'Artillerie (repérage d'objectifs, contrôle de tirs...) ;
  • accompagner l'Infanterie au combat (si les observatoire au sol sont inopérants).

Lors des opérations liées à l'offensive limitée en Sarre (septembre-octobre 1939), les GAO suivirent plus ou moins ce programme, suivant les corps d'armée. Mais l’aviation de chasse allemande montra bien vite les dents. Et l'expérience allait montrer que, sans couverture de chasse, cela pouvait très mal se terminer ! Or nos chasseurs offraient un nombre limité de missions de protection. L'utilisation des GAO se fit donc rapidement au minimum possible. Dès lors, seules les missions prioritaires sont exécutées : renseigner le commandement.

En réalité, s'il y a eu très peu de coopération entre les aviateurs et les combattant au sol, ce n'est donc pas faute de doctrine, mais de moyens pour la mettre en place !

Certains ont déploré que l'on utilisât pas les Mureaux pour les missions d'Artillerie en mai et juin 1940... dans un ciel laissé à l'avaition de chasse ennemie ce n'était pas forcément pertinent

Certains ont déploré que l'on utilisât pas les Mureaux pour les missions d'Artillerie en mai et juin 1940... dans un ciel laissé à l'avaition de chasse ennemie ce n'était pas forcément pertinent

Des moyens pour faire mieux :

Bien évidemment, le commandement n'avait pas tiré un trait sur la coopération air-sol.

Durant la "Drôle de Guerre" des expérimentations entre le Potez 63-11 et Artillerie ont été menées... et avec liaison bilatérale en radiophonie ! Seul soucis : il fallait équiper les groupements d'un poste émetteur/récepteur capable de correspondre avec l'avion. Ce ne sera pas forcément réalisé pour toutes les unités.  Ce travail de coopération était également possible avec les ANF-Les Mureaux d'observation, en l'état. Et les exercices ont continué durant la "Drôle de Guerre" avec les biplace anciens.

Au sein de la Ve Armée on a assisté à des exercices entre appareils d'observation et bataillons de chars de combats. Certes, il n'était alors pas question de liaisons directes avion - char mais, elles étaient quand même possibles et déjà envisagées en 1937 ! Il était en effet prévu que le chef d'une compagnies de chars B puisse être en liaison avec un avion d'accompagnement. Le poste radio des chars D permettait également, au moins en théorie, une telle liaison.

De même, des liaisons ont été testées avec des postes à ondes très courtes ER 40 et les chasseurs du GC II/4. Ces essais ont été concluants et les postes radios ont été utilisés pour guider les chasseurs depuis les premières lignes. Sachant que le poste ER 40 était disponible dans l'Infanterie et la Cavalerie (au moins les Dragons portés) et que le poste radio des chasseurs équipait également les Breguet 693 et 695 d'assaut et les Loire-Nieuport 401 et 411, l'appui rapproché guidé depuis les premières lignes était déjà théoriquement possible !

On peut également citer, le déploiement de ces Breguet d'assaut à Beauvais pour appuyer les offensives de réduction des têtes de pont allemandes sur la rive gauche de la Somme. Le témoignage datant d'après-guerre, il est difficile de savoir si le général Girier pensait réellement alors à une intervention sur les lignes... c'est, du moins, ce qu'il laisse entendre.

Une coopération entre troupes au sol et avions était donc toujours d'actualité. De plus, le matériel existant permettait d'aller plus loin que la doctrine en vigueur et il est possible que cela ait été envisagé par certains de nos généraux (sans forcément aller jusqu'à l'appui-feu contrôlé depuis les premières lignes).

Un tandem pour améliorer les interceptions... ou faire du soutien aérien rapproché.Un tandem pour améliorer les interceptions... ou faire du soutien aérien rapproché.

Un tandem pour améliorer les interceptions... ou faire du soutien aérien rapproché.

Une doctrine allemande fantasmée :

Dans l'imaginaire collectif, les chars allemands étaient en contact direct avec les Stuka pour demander (et obtenir) un appui rapproché dès que nécessaire.

En réalité, les bombardiers en piqué attaquaient les lignes alliées avant l'offensive terrestre. Ensuite, ils agissaient sur les arrières. Seuls les Henschel Hs 126 d'observation étaient en contact direct avec les troupes au sol, notamment l'Artillerie. En revanche, si une liaison entre char et Stuka fut bien tentée en avril 1940, le temps manqua pour résoudre toutes les difficultés rencontrées. Ainsi, les demandes de soutien aérien devaient-elles encore remonter au moins jusqu'au corps d'armée. Le soutien aérien rapproché ne fut mis en œuvre qu'en 1941, durant l'opération Barbarossa.

Compte-tenu du manque de bombardiers modernes et surtout d'avions d'assaut, le bon fonctionnement d'une telle organisation était impossible chez nous. La lenteur des transmissions (chiffrées) aurait également rendu caduque toute demande. Mais avec un officier de liaison présent dans chaque division, une structure (ou son embryon) existait déjà pour bâtir un système de coopération similaire.

Une image très connue montrant un Junkers Ju 87 B en train de larguer ses bombes durant un piqué (© IWM GER 18)

Une image très connue montrant un Junkers Ju 87 B en train de larguer ses bombes durant un piqué (© IWM GER 18)

Un problème de moyens et non d'envie ?

Finalement, on constate que, dans l'armée française la doctrine de coopération air-sol existait. Des outils et une organisation existaient également pour l'améliorer. Mais, faute de chasseurs en nombre suffisant ou, du moins, rassemblés en nombre suffisant, il fut impossible de mettre en place les tactiques envisagées.

Des freins existaient également dans le haut commandement. D'abord, il y avait cette idée que les bombardiers, même d'assaut, n'avaient rien à faire sur le champ de bataille. Ensuite, il existait une réelle défiance envers la sûreté de la radio et des communications en phonie.

On peut pourtant rêver à ce qu'aurait donné l'intervention des Breguet d'assaut lors de la contre-offensif d'Abbeville : alertés par les échelons supérieurs puis guidés contre les nids de résistance par les ER 40 des fantassins, grâces aux expériences fructueuses menées à la Ve Armée en automne 1939. Reste que le matériel était parfois capricieux et les utilisateurs pas toujours bien entraînés.

... à suivre

Sources :
  • Archives des forces aériennes et forces terrestres antiaérienne de la Ve Armée, SHD/Air cartons 2D71 à 2D74
  • Archives de GAO pour la période septembre-octobre 1939, SHD/Air, cartons AI G8839 G8845, G 8852, G8893 et G8894
  • Darré (Cne), Étude des transmissions au combat dans les unités de chars modernes, Centre d'instruction des chars de combats, 1937
  • Denis É, La Wehrmacht de Fall gelb, coll. Armes et Armées, éd. Economica, 2017
  • Salles A, Transmission 1900-1940, "Histoire" des matériel volume 1, chez l'auteur, 2016

Publié dans Panorama

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