Aviation d'artillerie
Dans un précédent article, j'abordais la rivalité entre Génie et Artillerie pour le contrôle de l'aviation militaire. Ce texte se terminait sur une forme de victoire de cette dernière. À l'occasion des Journées européennes du patrimoine, j'ai pu revenir sur cette victoire.
Mon exposition consacrée à l'Établissement militaire de Vincennes, laboratoire d'aviation de l'Artillerie.
Estienne mets ses vues en application :
Avant la guerre, le centre de Vincennes fut le lieux de bien des expériences aériennes. Parmi elles, figure la mise au point d'un appareil dédié au réglage d'artillerie : le Couade. Je n'ai pas retrouvé de photographie, ni de dessin de cet appareil.
Le lieutenant-colonel Jean-Baptiste Estienne ne peut toutefois faire commander en série son "bébé" à cause de l'imminence pressentie du conflit. Qu'à cela ne tienne, il part en campagne avec ses deux prototypes et trois pilotes. Comme les Blériot des escadrilles de cavalerie, les Couade suivaient le régiment sur remorque.
Le 6 septembre 1914 s'engage la première bataille de la Marne. L'officier n'a plus qu'un appareil opérationnel. Il envoie le maréchal-des-logis Robert Damberville1 en reconnaissance à son bord. Ce dernier repère l'artillerie lourde ennemie, concentrée au nord de Montceaux-lès-Provins. Nanti de cette information, Estienne fait pilonner avec succès le secteur par ses pièces.
La 6e Division d'infanterie dont dépend son régiment pourra prendre le bourg dans l'après-midi.
Une vidéo sur la Bataille de la Marne ; la série sur les débuts de la Grande Guerre est plutôt intéressante.
D'autres succès :
De manière générale, dès le début, la bataille décisive voit le concours de l'aviation pour guider les tirs d'artillerie. Cette mission est d'ailleurs prioritaire sur toutes les autres, un fois le programme de reconnaissance achevé. Mais repérer ce qui doit l'être reste difficile pour un œil inexpérimenté.
Ainsi, le 8 septembre, ses observateurs en avion2 n'obtenant aucun résultat probant, le chef d'escadron Georges Bellenger3 se décide à mener lui-même la mission. L'officier est artilleur de formation et, de plus, il a étudié le règlement d'emploi de l'artillerie lourde ennemie : il sait où regarder et quoi rechercher. Et ça ne rate pas ! Toutefois, la VIe Armée prend son temps pour exploiter les renseignements ramenés, ce qui aurait pu conduire à la nullité de la démarche4.
Et sur le front des autres armées, on rapporte de pareils succès. Ils infléchiront alors l'opinion du chef de bataillon Joseph-Édouard Barès, alors commandant l'aéronautique de la IVe Armée mais bientôt chef du service aéronautique au grand quartier général (et donc patron de l'aviation au front).
Le Blériot XI-2, l'appareil avec lequel l'Établissement de Vincennes mena les expériences de coopération avec l'artillerie. Il existait une version à aile parasol pour la Cavalerie.
Mais pas avec n'importe quoi :
Si au début de la guerre, divers matériels sont en service dans l'Aéronautique avec la même mission, les aviateurs vont s'apercevoir rapidement que cette situation n'est pas bonne.
Ainsi, à la VIe Armée, les Farman MF VII de la MF 16 sont-ils dédiés aux missions d'artillerie. Ils sont en effet plus lents que les REP type K de la REP 15 et constituent de meilleures plate-formes d'observation aérienne, grâce à l'excellente visibilité offerte par leur nacelle à moteur propulsif. En effet, l'équipage se trouve en avant des ailes, alors que, sur les REP, leur habitacle est au même niveau...
Le 8 octobre 1914, c'est finalement le Caudron G3 qui sera préféré pour ces missions. Il faut en effet une bonne maniabilité, mais aussi une bonne vitesse ascensionnelle. Or, c'est sur ce dernier point que les Farman MF VII pèchent. Ce choix sera entériné par le nouveau directeur de l'Aéronautique, le général Auguste Hirschaueur.
Deux observateurs en avion. Dans un premier temps, leur recrutement se fera principalement au sein de l'Artillerie.
Notes :
1 Robert Damberville était détaché de l'Artillerie.
2 Les officiers observateurs étaient des officiers brevetés d'état-major détachés de leur unité auprès de l'aéronautique d'armée. Ce n'est qu'à la fin de l'année 1914 qu'ils seront intégré dans le personnel des escadrilles.
3 Georges Bellenger commandait alors l'aéronautique de la VIe Armée ; ces fonctions le maintenait donc théoriquement au sol.
4 Le 16 septembre 1914, le corps de cavalerie Bridoux n'exploite pas le renseignement de l'escadrille BLC 5 et rate sa chance de reprendre Saint-Quentin à l'ennemi.
Sources :
- Facon Patrick, L'histoire de l'armée de l'air : une jeunesse tumultueuse (1880-1945), Docavia n° 50, éditions Larivière, 2004
- Méchin David, 1914 : De la bataille de la Marne à la guerre des tranchées, in Batailles Aériennes n° 69, juillet à septembre 2014
- Nicolaou Stéphane, L'aviation à la VIe Armée et au CRP, in Icare n° 229, juin 2014