Échapper aux chasseurs 2
Aller plus haut !
L'autre solution pour échapper aux interceptions, c'est l'altitude. En effet, plus on vole haut, plus il faut du temps à l'ennemi pour vous rejoindre. Et parfois, son matériel n'a pas la capacité de voler assez haut : l'avion de reconnaissance peut ainsi agir impunément.
Durant la Drôle de Guerre, nos chasseurs ont ainsi éprouvé des difficultés à intercepter et abattre les appareils de reconnaissance allemands. Il y a plusieurs raisons à cela. Je les ai déjà évoquées et je vais donc me contenter de les rappeler brièvement :
- alerte tardive à cause de la lenteur des transmissions, voire de l'incompétence du guet ;
- échec du guidage à cause des défaillances du matériel radiophonique ;
- écart de vitesse trop faible entre les chasseurs et leur proie ;
- gel des commandes pneumatiques et/ou du lubrifiant des armes à cause du froid intense.
Cette expérience confirme l'intérêt du vol en altitude. Toutefois, cette tactique ne se prête qu'à la reconnaissance photographique avec des objectifs grossissants. Les détails perceptibles par l’œil humain diminuent en effet avec l'altitude ; ainsi certains rapports de mission de septembre 1939 mentionnent clairement que l'altitude de travail de 1 000 m ne permettait pas d'observer les véhicules, par exemple.
Mais ce n'est pas la panacée, puisque des interceptions réussies ont eu lieu de part et d'autres. L'idéal est donc de voler à une altitude à laquelle les chasseurs ne peuvent pas voler.
Un des reproches faits au MS-406 était son manque de vitesse l'empêchant de rattraper les bimoteurs volant très haut... et quand il y arraivait, l'armement ou sa commande avaient gelé !
Les premiers vols stratosphériques européens semblent être imputables aux Britanniques, avec un Bristol 138A le 30 juin 1937, et aux Italiens, avec un Caproni 161bis le 22 octobre 1938. Mais la solution retenue, l'utilisation d'un scaphandre aérien, ne permettait que des records.
Le premier appareil stratosphérique opérationnel apparut outre-Atlantique. Il s'agissait du Boeing 307, qui effectua son premier vol le 31 décembre 1938. Contrairement à ce qui avait été réalisé jusque là, il utilisait une cabine pressurisée pour loger l'équipage... et les passagers. Car c'était un avion commercial. En matière de transport aérien, voler haut signifiait moins de turbulences, donc de désagréments pour les passagers. Accessoirement, il y avait sans doute également des économies de carburant à la clé... même si l'essence n'était pas aussi chère qu'aujourd'hui.
L'Allemagne en tête ?
Les Allemands ont développé un bimoteur capable d’opérer à très haute altitude (12 000 m voire plus) et l’ont utilisé pour les missions de reconnaissance stratégique. Il s'agissait du Junkers Ju 86 P-2.
L'appareil était toutefois sujet aux caprices de ces moteurs diesel Jumo 007 dotés d'un turbocompresseur à deux étages et bénéficiant d'un dispositif d'injection de protoxyde d'azote*. D'aspect différent des autres version, le Ju 86 P-2 était doté d'une envergure allongée et d’une cabine pressurisée qui accueillait un équipage limité à deux aviateurs. Cet appareil étant à l’abri de toute interception, il n’était donc pas armé ! Un pari risqué, à long terme.
Le prototype fut testé à partir de janvier ou février 1940 et les livraison intervinrent dans l'année. Les exemplaires de série furent affectés à la 4.(F)/33. Les missions débutèrent en 1941 et eurent un relatif succès, du fait des capricieux moteurs de l'appareil. Mais, le 24 août, un Spitfire Mk V spécialement allégé parvint à rejoindre un Ju 86, à environ 14 500 m d'altitude au-dessus de l'Égypte ! Selon les sources, l’appareil de reconnaissance ne fut qu'endommagé ou abattu. Cette interception réussie amena les Allemands à installer une mitrailleuse de défense, contrôlée à distance depuis la capsule pressurisée. Mais les interceptions se poursuivirent, que ce soit en Afrique du nord ou au-dessus de la Grande-Bretagne. Les missions durent donc être arrêtées, avant le retrait du service de l'appareil, en mai 1943.
Une version améliorée, le Ju 86 R, fut bien étudiée, mais elle ne dépassa pas le stade des prototypes. Il semble bien que l'appareil stratosphérique fut ensuite abandonné.
La France, un pas derrière :
L'avion stratosphérique, en France, on étudiait cela également. En 1929 et 1930, deux projets avaient déjà été lancés. Un appareil, le Farman 1000, en avait découlé. Il fut testé à partir de 1932 et évolua en Farman 1001, qui fut brièvement testé en 1935, avant d'être perdu à cause d'un accident. Le second Farman 1001 devint Farman 1002 mais fut également victime d'un accident, en 1937. Cela semble avoir mis un point à la carrière de cet appareil. Malgré les effort de la société Farman, il ne combla pas les espoirs mis en lui.
C'est dans le cadre du programme A20 de décembre 1936, que naquit le premier démonstrateur stratosphérique français. Ce programme visait à développer un futur bombardier quintuplace.
La SNCAC avait absorbé la société Farman. Elle présenta deux projets, dont un quadrimoteur stratosphérique. L'équipage devait être logé dans une cabine pressurisée et étanche. Mais pour améliorer les connaissances sur le vol aux très hautes altitude, un appareil d'étude fut jugé nécessaire. Il fit l'objet d'un marché de l'État en... octobre 1938.
Un an plus tard, le NC.130 était prêt à prendre l'air ! la guerre avait également débuté. Les essais eurent lieu durant la Drôle de Guerre. Ils furent perturbés par le mauvais temps et divers problèmes techniques. Il semble que seuls trois essais au-dessus de 10 000 m purent être effectués avant le 10 mai 1940. L'attaque allemande obligea à quitter Toussus-le-Noble pour Bourges, où les essais reprirent le 16 mai : ce fut l'occasion d'un dernier vol en altitude. Cloué au sol par un incident moteur intervenu durant ce vol, et devant l'évolution de la situation, le prototype du NC 130 dut être incendié, un mois plus tard, le 15 juin 1940.
Comme beaucoup de beau projet, le NC.130 ne put déboucher sur une production industrielle avant la victoire des armées allemandes sur les armées françaises. Il ne faut toutefois pas se leurrer : les expérimentations influencèrent surtout un nouveau démonstrateur. Et cet appareil n'apparut qu'en 1945.
Une solution sans issue ?
Les expériences allemandes ont montré que l'interception d'un appareil de reconnaissance stratosphérique restait possible et n'était qu'une question de temps. Penser échapper à l'ennemi en volant plus haut que lui était donc vain, si on ne comptait que sur cela.
En revanche, couplé à une vitesse proche de celles des chasseurs, cela donnait de meilleures chances de rentrer à la maison car l'interception étaient plus difficile. C'est ce que les missions des B-29 à haute altitude au-dessus du Japon ont montré. Les chasseurs nippons évoluaient à une vitesse proche de celle du décrochage ce qui limitait leurs possibilités de manœuvre. La "grande" vitesse du B-29 y contribuait également en limitant le nombre d'attaques possibles.
La solution était là : allier grande vitesse et haute altitude. C'est que le britanniques firent avec la version PR Mk XVI du Mosquito.
Notes :
* Le protoxyde d'azote (N2O) permettait de compenser la faible teneur en dioxygène de l'air raréfié et donc, d'assurer un meilleure puissance du moteur en altitude. Ce dispositif nécessitait tout de même une utilisation précautionneuse : en plus d'être un comburant, ce gaz est très toxique.
Sources :
- Page consacrée au Junkers Ju 86 P sur Historyofwar.com
- Borget M, Le défi de l'altitude du NC.130, Le fana de l'aviation n°389, avril 2002