Échapper aux chasseurs
Partie 1 : L'ivresse, de la vitesse
En ces temps de saison de la chasse ouverte, c'est probablement une question que se posent tous les perdreaux, faisans et autres gibiers. Malheureusement pour eux, j'ai bien peur que cet article ne leur apporte rien. Pour ceux qui s'intéresse à la problématique de la reconnaissance, c'est également un sujet vieux comme le monde. Mais ils seront mieux servis. La première solution est assez triviale : pour éviter de se faire attrapé, mieux vaut courir plus vite que son poursuivant.
Voler plus vite, toujours plus vite
En 1937, Potez reçoit une demande du ministère de l'Air pour modifier son modèle 63 en appareil de reconnaissance. L'appareil dépasse en effet les 400 km/h à 4 000 m d'altitude, ce qui laisse augurez de belles performances pour un avion de reconnaissance. Hélas, si les Potez 637 et 63-11 ont des performances équivalentes à la "concurrence" européenne, ils sont trop lents pour semer les chasseurs modernes. En revanche, le Bloch MB-174 devait parvenir à se jouer de la chasse allemande grâce à ses 530 km/h de vitesse maximale à 5 200 m. Même si ça ne fonctionnait pas à tous les coups. Toutefois, ces performances furent limitées car on conserva un armement important défensif voire... offensif. Mais dans les cas où il eut à servir, il ne fut pas forcément très efficace.
C'est une démarche que l'on retrouve chez nos voisin. Ainsi le bombardier Blenheim dérivait d'un appareil commercial qui s'était avéré plus rapide que les chasseurs, lors de sa sortie. Rappelons-nous qu'on fit de même outre-Rhin avec le Heinkel He 70 et le Dornier Do 17, par exemple. Tous ces appareils devaient compter sur leur vitesse pour échapper aux intercepteurs. Il reçurent bien un armement défensif, mais il était souvent limité à sa plus simple expression. Et la plupart pâtit rapidement des progrès de la chasse, qu'ils furent ensuite incapables de surclasser.
En matière de reconnaissance stratégique, le Japon aussi misa, dès 1937, sur un gracieux bimoteur qui devait être plus rapide que les chasseurs. Trois ans plus tard, le Mitsubishi Ki-46, qui répondait à ce programme, s'avéra plus rapide que les modernes Ki-43 Hayabusa et A6M2 Reisen, avec une vitesse de 540 km/h à 4 070 m d'altitude. La seconde version, adoptée en mai 1942, dépassait les 600 km/h à 5 800 m ! Avant la fin de l'année, il devint l'appareil de reconnaissance standard de l'aviation terrestre japonaise. À ce moment apparut la version la plus aboutie et la plus rapide de l'appareil.
L'équipage n'était composé que de deux hommes et l'armement défensif réduit à une unique mitrailleuse de 7,7 mm. Si les performances étaient bien meilleures que celles des appareils européens contemporains c'est parce que le Ki-46 était bien plus léger car, entre autres, moins bien protégé et défendu. Sur la troisième version une plaque de blindage vint certes protéger le pilote, mais ce fut au détriment de l'armement qui disparu totalement.
L'appareil comptait donc davantage sur sa vitesse pour échapper à une interception. Mais l’arrivée de chasseurs alliés rapides allait mettre à mal cette "invulnérabilité". Et ce d'autant plus facilement, que ce phénomène ne semble pas avoir été anticipé par une recherche d'amélioration constante des performances.
Transformer des chasseurs
Dès la fin de 1939, le sénateur de la Haute-Loire, Victor Laurent-Eynac, était persuadé que le temps des avions "lents" étaient révolus. Ainsi dans un rapport du 2 décembre 1939, écrivit-il :
"L'aviation d'observation et de reconnaissance, comme l'aviation de bombardement ne pourront désormais se défendre et remplir leurs offices qu'en rejoignant les caractéristiques de l'aviation de chasse ou en s'en rapprochant, qu'il s'agisse de la vitesse, de l'altitude ou de l'armement."*
Une idée qu'il garda lorsqu'il devint ministre de l'Air, comme put en témoigner le général Pierre Boris, dans un lettre qu'il adressa à son ministre de tutelle, le 5 juin 1940.
C'est probablement pour cela qu'au moins trois Dewoitine D.520 furent réservés aux missions photographiques. Dans cette optique, ces chasseurs avaient été désarmés et équipés d'un appareil photographique. Leur seule planche de salut était donc leur vitesse et, accessoirement, leur manœuvrabilité. Attribués au GC I/3, il semble qu'ils aient servi à la transformation des pilotes de chasse et non à une évaluation opérationnelle du concept. Ainsi, comme le signale Jean Israël dans Icare n°53, lorsque le commandant du GR II/33 demanda qu'on lui donne des monoplaces de chasse allégés par suppression de l'armement et équipés d'appareils photographiques**, il lui aurait été répondu que les chasseurs n'étaient pas prévus pour ; rappelons-nous également qu'on en avait aussi (et surtout) trop besoin pour défendre le ciel français.
En effet, en Grande-Bretagne, l'idée que la vitesse seule pouvait favoriser la réussite de la mission de reconnaissance fit son chemin plus tôt. Au mois d'octobre 1939, deux chasseurs Supermarine Spitfire Mk I furent débarrassés de leur armement et équipés de deux appareils photographiques dans les ailes. Un mois plus tard l'un d'eux effectuait sa première mission opérationnelle depuis la France ! Par tâtonnement, on arriva à une version qui donne meilleure satisfaction, au mois d'octobre 1940. Au fur et à mesure de l'évolution du Spitfire, des versions de reconnaissances furent extrapolées des principales versions de chasse, certaines étant armés et dédiées à la reconnaissance à basse altitude. Mais si l'appareil était rapide et manœuvrant, son autonomie restait limitée, malgré l'ajout de réservoirs d'essence. De plus, le besoin en chasseurs rapides et modernes vint initialement en forte concurrence avec le projet.
Le concept se montra cependant plus que valable et il fut copié par les Allemands, avec la version F-6 du chasseur Messerschmitt Bf 109. Toutefois, les premières versions de reconnaissance qu'ils extrapolèrent (E-5 et F-5) conservaient un armement(respectivement quatre et deux mitrailleuses). L'autonomie était améliorée à l'aide d'un réservoir auxiliaire largable. Il semble cependant qu'il n'est pas été couronné de succès car le Bf 109 G ne donna naissance qu'à une seule version de reconnaissance complètement désarmée (G-4/R4) ; toutes les autres conservaient au moins les mitrailleuses. Outre-Atlantique également, seules les versions dérivées du P-38 (Lockheed F-4 puis F-5) étaient désarmées ; mais c'était également les seuls appareils de reconnaissance stratégique dérivés d'un chasseur.
Un Lookheed F-5A du GR 2/33. C'est sur cet appareil que dispqrut Antoine de Saint-Ewupéry, le 31 janvier 1944.
Le retour au bimoteur rapide
Lorsque le de Havilland Mosquito sortit à la fin de l'année 1940, il s'avéra que l'appareil avait des qualités pour faire un bon appareil de reconnaissance stratégique. Il était en effet rapide, manœuvrable et disposait d'un bien meilleur rayon d'action que le Spitfire. Ainsi, la première version opérationnelle du Mosquito fut elle dédiée à la reconnaissance stratégique. Elle effectua sa première mission en septembre 1941. D'autres modèles furent extrapolés des diverses versions de la "merveille en bois". Par exemple, certains bombardiers de la version Mk IV furent-ils convertis pour la reconnaissance à haute altitude, leur soute à bombe emportant des appareils photographiques. Comme les versions de bombardement de l'appareil et les Spitfire PR, les Mosquito de reconnaissance n'étaient pas armés et ne devaient compter que sur l'altitude et leur vitesse pour échapper au chasseurs allemands.
Avec le développement des turboréacteurs, les Allemands purent également reprendre espoir de développer un bimoteur rapide. C'est dans cet optique qu'est lancé, en 1941, le programme qui allait donner naissance à l'Arado Ar 234. L'appareil, propulsés par deux turboréacteur Jumo 004 ne fit son premier vol qu'en septembre 1943 et entra en service en juillet 1940, lorsque deux prototypes furent déployés en France pour photographier les plages du débarquement. Entre temps, comme il avait été prévu d'utiliser l'appareil comme bombardier et que cela grévait ses performances, un armement défensif fut ajouté (mais pas forcément utilisé). C'est cette version, l'Ar 234 B, qui entra finalement en service comme appareil de reconnaissance (B-1) ou de bombardement (B-2), à partir du mois de septembre. Avec une vitesse de croisière de près de 700 km/h à 6 000 m d'altitude, les risques d'interception étaient limités ; c'était une autre histoire dans les phases de décollage et d'atterrissage.
Une riche idée ?
Avec l'augmentation du rayon d'action des chasseurs, le bimoteur rapide et non armé perdit de son intérêt. De plus, les progrès réalisés permirent de conserver un certain armement aux chasseurs ainsi modifiés, ce qui leur assura de meilleur chance de survie. De nos jour encore, ce concept existe encore. On pourrait même dire que l'on a réussi à répondre au programme BCR avec le Dassaut Rafale. Un même appareil peut effectivement mener des missions de chasse, de bombardement ou de reconnaissance.
Notes :
* cité par Alain Marchand dans le Grand Gaspillage des T-3 2e partie, in Le Fana de l'Aviation n°354, mai 1999 p 69
** Jean Israël, Lorsque le temps le permettait, in Icare n°53, printemps-été 1970, page 147
Sources :
- Baeza B, Les avions de l'armée impériale japonaise 1910-1945, Lela Presse, 2001
- Chambe R, Équipages dans la fournaise : 1940, Flammarion, 1945
- Elbied A et Jouineau A, Messerschmitt 109 tome 1 de 1936 à 1942, Avions et pilotes n°1, Histoire & Collections, 2001
- Elbied A et Jouineau A, Messerschmitt 109 tome 2 de 1942 à 1945, Avions et pilotes n°2, Histoire & Collections, 2002
- Israël J, Lorsque le temps le permettait, in Icare n°53, printemps-été 1970
- Moulin J, Le Bloch 174 et ses dérivés, Profils Avions n°10, Lela Presse 2006
- article sur les versions de reconnaissance du Spitfire sur le site History of war (en anglais)
- article sur les versions de reconnaissance du Mosquito sur le site History of war (en anglais)
- article sur l'Arado Ar 234 sur le site Wikipedia (en anglais)