Schwarzer Donnerstag
Le jeudi noir de la reconnaissance allemande
On a souvent tendance à opposer le matériel français à son concurrent allemand. Souvent pour montrer que l'on faisait mieux outre-Rhin. Et pourtant, la reconnaissance allemande connut elle aussi des pertes. Et même s'il put faire coups d'éclats, son matériel ne valait pas mieux forcément que le nôtre. Le jeudi 23 novembre illustre assez bien la vulnérabilité des appareils de reconnaissance allemands.
Les pertes allemandes se résument ainsi (en gris les pertes non sures) :
Modèle | Unité | Cause |
Dornier Do 17 P-1 | 3.(F)/22 | Abattu par deux Hurricane du No. 1 squadron |
Dornier Do 17 P-1 | 3.(F)/122 | Abattu par un Hurricane du No. 73 Squadron |
Dornier Do 17 P-1 | 4.(F)/122 | Abattu par trois Hurricane du No. 1 squadron |
Dornier Do 17 P-1 | 5.(F)/122 | Abattu par deux MS 406 du GC III/6 |
Dornier Do 17 P-1 | 1.(F)/123 | Abattu par un MS 406 du GC II/3 |
Dornier Do 17 Z-2 | Stab/KG 2 |
Abattu par un Curtiss H-75 du GC I/5 |
Focke-Wulf FW 200 V10 | AufklGr ObdL | Accident |
Heinkel He 111 H | 1.(F)/122 | Accident |
Heinkel He 111 H | 1.(F)/122 | Endommagé par des chasseurs néerlandais |
Heinkel He 111 H | 1.(F)/122 | Abattu par la DCA britannique |
Heinkel He 111 H | 1.(F)/122 | Inconnue |
Heinkel He 111 H-2 | 2.(F)/122 | Abattu par trois Hurricane des No. 1 et 73 Sqn et trois Curtiss H-75 du GC II/5 |
Heinkel He 111 H-1 | Stab/KG 53 | Abattu par un chasseur du No. 73 Sqn |
L'Aufklärungsgruppe 122 était une unité de reconnaissance lointaine qui opérait sous le giron de la Luftflotte 2. Comme on le constate, l'équipement de ces escadrilles n'était pas homogène. Et ce 23 novembre 1939, aucun de ces deux matériels ne se montra plus performant que l'autre. Au sein de ce groupe, la palme de la malchance revient au He 111, notamment parce que la 1.(F)/122 perdit jusqu'à 4 appareils*, soit la moitié des effectifs engagés ! Et si on compare les pertes avérés, on constate qu'il y eut pratiquement autant de Do 17 abattus que de He 111, ce qui met les appareils sur un pied d'égalité.
D'autre par, l'examen du tableau montre que la chasse britannique s'est taillée la part du lion avec 6 appareils envoyés au tapis, dont 2 en collaboration avec la chasse française. Notre aviation n'a abattu que 2 avions allemands, même si elle en attaqua 3**, (plus 2 en collaboration). Cela tient à différents facteurs. D'abord, le Hurricane Mk I avait un armement plus important que le MS 406 ou le Curtiss H-75 et une meilleure vitesse de pointe. Ensuite, une partie des interceptions françaises a eu lieu suite à un décollage sur alerte alors qu'il semble que les Hurricane étaient déjà en patrouille : cela leur a épargné la montée initiale. Toutefois, toutes les interceptions des britanniques n'ont pas finit à leur avantage. Ainsi, deux pilotes du No. 85 Sqn qui interceptèrent un He 111 au-dessus de la Manche ne purent l'abattre.
Il m'est toutefois difficile d'aller plus loin dans ce bilan car je ne dispose que de sources secondaires pour traiter le sujet. Je ne sais donc pas combien de missions de reconnaissance ont été effectuées par l'aviation allemande ce jour-là, hormis quelques données parcellaires :
- 8 pour la 1.(F)/122 ;
- 3 pour la 1.(F)/123 ;
- et ?...
De même, j'ignore le nombre de décollages sur alerte occasionnés par les survols allemands et donc s'il y eut des interceptions ratées et leur nombre. La seule connue concerne un Fokker D.XXI néerlandais dont le pilote rentra bredouille et accidenta son chasseur en oubliant de déverrouiller les freins avant d'atterrir... Pour l'anecdote, l'avion s'étant retourné, le pilote faillit mourir étranglé par... le col haut de son uniforme ! (Avis aux détracteurs des bandes molletières )
Toujours est-il que sur les 25 avions perdus suite à une mission de reconnaissance au-dessus de la France, 10 le furent lors de cette journée, soit 40% des pertes du mois ! Quelque part, c'est un record dont la Luftwaffe se serait bien passé...
Dornier Do 17 P de l'état-major du groupe de reconnaissance lointaine 122, en octobre ou novembre 1939.
Ainsi, si on se contente de regarder l'activité aérienne au-dessus de la France, la journée du 23 novembre marque une sorte d’apothéose dans les pertes allemandes. Dès le lendemain, on n'en relève plus une seule pour le reste du mois. Et pour cause puisque la météo s'en mêla et limita drastiquement les sorties.
Sur les 25 avions perdus suite à une mission de reconnaissance au-dessus de la France, 84 % fut abattu par la chasse alliée. Un légère majorité (10) revient à la chasse française, plus nombreuse, ce qui tendrait à prouver une meilleure efficacité de la chasse britannique, qui ne comporte alors que 4 squadron sur Hawker Hurricane Mk I déployés en France. Toutefois, pour être plus prêt de la réalité, il faudrait pouvoir avoir accès au nombre d'interceptions ratées, au nombre de passes effectuées avant d'obtenir un résultat, au nombre d'appareils engagés... C'est une étude qui mériterait son propre article !
Toujours est-il que, ce mois de novembre, l'aviation de reconnaissance allemande (et celle bombardement !) subit plus de pertes que ces homologues alliées face à la chasse : 33 % des appareils de reconnaissance britanniques furent abattus par la chasse allemande (soit... 2 Blenheim) et 57 % des appareils français (soit 4 Potez, mais 2 autres furent victimes de tirs amis***). Au vu des pertes, l'activité des alliés semble plus faible mais, encore une fois, je ne dispose pas du relevé de toutes les missions. L'impression donnée par les pertes peut être trompeuse.
Faute de pouvoir calculer un ratio pertes/moyens engagés, il est difficile de conclure. On peut cependant noter que ce 23 novembre 1939 sonne comme un avertissement ! Que l'on prenne le mois où la journée, la majorité (60 %) des victimes fut des Do 17. Cela montre globalement la plus grande vulnérabilité de cet appareil face à des chasseurs modernes même moins performants que le Messerschmitt Bf 109 E. Il convient donc relativiser les pertes de nos Potez 63. En fait, c'était probablement le signe de la fin d'un concept : celui de l'appareil de reconnaissance aux performances proches de celles d'un bombardier. Car si les bombardiers pouvaient encore compter sur leurs feux croisés pour se défendre des chasseurs, les appareils de reconnaissance ne pouvaient en bénéficier. D'autres solutions s'imposaient !
* Une perte par accident et un appareil endommagé au-dessus du littoral des Pays-Bas semblent attestés par plusieurs sources. En revanche, je n'ai pu retrouvé d'élément concernant deux autres He 111 perdus au-dessus de la Grande-Bretagne.
** Un Dornier 17 fut croisé par deux patrouilles simples du GC II/7, chargées de protéger un Potez 63-11. Il fut attaqué par la patrouille haute, bientôt rejointe par un quatrième pilote. Mais le bimoteur parvient à fausser compagnie à ses agresseurs. Il serait donc très probablement rentré.
*** Le problème de la ressemblance du Potez 63 avec le Messerschmitt Bf 110 déjà été évoqué dans cet article.
- Collectif, Le Morane-Saulnier MS 406, Histoire de l'aviation n°5, Lela Presse 1998
- Brouez P, Les Fernaufklärer sur la France pendant la "Drôle de Guerre" (1re partie), in Avions n°225 2018
- Cony C, Les combats aériens de la Drôle de Guerre, Batailles Aériennes n°3 1997
- Cornwell P, The battle of France then and now, After the battle 2007
- Foreman J, RAF Fighter Command victory claims of world war two Part one 1939 - 1940, Red Kite 2003
- Jong (de) P, Le Fokker D.21, Profil Avions n°9, Lela Presse 2005
- Persyn L, Les Curtiss H-75 de l'armée de l'Air, Histoire de l'aviation n°22, Lela Presse 2008
- Forum 12 o'clock high (en Anglais)