Potez bashing

Publié le par Romain Lebourg

Mis à jour le 19/10/22

Le Potez 63, cette grosse daube !

L'autre jour, je suis tombé sur un article de l'encyclopédie Wikipédia, traitant de l'avion de reconnaissance. Il y était fait mention du Potez 63 comme tout juste bon à faire du réglage d'artillerie... Alors certes Wikipédia est alimentée par des contributeurs plus ou moins documentés, plus ou moins partiaux... bref un article de Wikipédia est toujours à considérer avec prudence.

Inutile bien sûr d'aller chercher à vérifier ce que j'écris car... je me suis empressé de laver l'affront devil et, au passage, de remanier le texte de l'article bien léger sur le sujet ! - au passage, je prends les critiques, car je ne présume pas de l'excellence de ma prose, la vulgarisation n'étant pas mon fort, je trouve.

Mais qui est... le Potez 63 ?

Le Potez 63 est, au départ, un chasseur "lourd" conçu en réponse à un programme de 1934. Il devait pourvoir effectuer des mission de commandement à la chasse (un AWACS1 avant l'heure du Radar aéroporté), d'escorte lointaine et de chasse de nuit (à vue, cela va de soi). Deux versions furent produites :

  • le Potez 630 à moteurs Hipano-Suiza 14Ab, dont la production fut limitée à cause de la faible fiabilité de ces moteurs ;
  • le Potez 631 à moteur Gnome et Rhône 14M, qui eut une descendance... prolifique (voir plus bas).

En effet, en 1937, devant les performances intéressantes de l'appareil, il fut envisagé de le décliner en bombardier léger et en appareil de reconnaissance. Ce dernier entra donc en compétition dans le cadre du programme A3 de 1936. Il éclipsa au passage le Potez 220 conçu comme T3 mais reclassé en A3 car trop performant ! Deux versions virent le jour car, comme pour le programme T3, le Service technique de l'aéronautique avait d'abord imposé une gondole ventrale pour loger l'observateur, avant de se raviser et d'opter pour un nez vitré...

Ainsi, on vit entrer en service le Potez 637, qui équipa les groupes des 33e et 52e escadres de reconnaissance juste avant l'entrée en guerre. Ce modèle fut ensuite rapidement remplacé, sur les chaînes de production, par le Potez 63-11. Ce dernier équipa tous les groupes de reconnaissances (sauf le GR I/61) et, partiellement, les groupes aériens d'observation. Il n'éclipsa cependant jamais son frère aîné au sein des quatre groupes qui en était équipés.

Potez bashing

Pas pire qu'un autre

C'est un secret de Polichinelle, les pertes en Potez 63-11 furent lourdes. Très lourdes. De là à penser que cet appareil était un gros mauvais, il n'y a qu'un pas. Pourtant, une comparaison avec les modèles des autres belligérants est assez instructives !

  Potez 637 Potez 63-11 Bristol Blenheim Mk IV Dornier Do 17 P-1
Motorisation 2 Gnome-Rhône 14 M6/7 de 710 ch 2 Bristol Mercury XV de 905 ch 2 BMW 132N de 825 ch
Vitesse maximale 435 km/h à 4 000 m 425 km/h à 4 000 m 428 km/h à 3 600 m 400 km/h
Plafond 8 000 m 8 500 m 8 310 m 9 550 m
Rayon d'action 1 550 km 1 225 km 9 550 m 1 500 km
Armement 2 à 3 mitrailleuses de 7,5 mm 3 à 11 mitrailleuses de 7,5 mm 2 mitrailleuses de 7,7 mm 3 mitrailleuses de 7,92 mm

Comme on peut le constater, bien que disposant de moteurs moins puissants que la "concurrence", les Potez 63 avaient des performances comparables. Leur armement défensif était équivalent. Sur les Potez 63-11, il fut progressivement augmenté, passant de 3 à 5 puis 9, voire 10 et jusqu'à... 11 mitrailleuses. Toutefois la majorité de ces armes tirait vers l'avant, ce qui transforma progressivement l'appareil de reconnaissance en avion d'appui (d'autant plus qu'il pouvait emporter des bombinettes)2 ! Et, bien-sûr, cela gréva ses performances !

Dans les missions de reconnaissance, les Bristol Blenheim et les Dornier Do 17 se montraient tout aussi vulnérables que les Potez 63 lorsqu'ils étaient interceptés par des chasseurs modernes (voir ici pour le Do 17). Leur vitesse n'étaient pas suffisante pour semer les poursuivants. Leur armement défensif était trop léger pour être efficace ou dissuasif. Globalement, dès septembre 1939, le Do 17 était déjà en phase remplacement pour la reconnaissance stratégique et la bataille d'Angleterre fut clairement son champ du cygne. Quant au Blenheim, la campagne de France lui fut tout aussi funeste et, dès la reprise de l'offensive par l'aviation britanniques en juin 1941, il dut bénéficier d'une solide (et même disproportionnée) escorte de chasse.3

En réalité, on oublie que, entre 1939 et 1940, la chasse allemande était globalement plus efficace que la chasse française. En effet, le Messerschmitt Bf 109 E était plus rapide que les Curtiss H-75 et Morane-Saulnier MS-406 de nos groupes de chasse et, dans sa version E-3, mieux armé. De plus les transmissions allemandes étaient mieux organisées que les nôtres et leur service de guet bénéficiait de l'aide de Radar pour repérer les intrus ! Enfin, lors des offensives de mai et juin 1940, les chasseurs allemands furent mieux utilisés que les nôtres, leurs bases moins inquiétés (puisque pas du tout !) et il ne pâtirent pas des abandons liés aux replis.

Le Potez 63-11 n°494 du GAO 510, en plein ciel hostile !

Le Potez 63-11 n°494 du GAO 510, en plein ciel hostile !

Un problème de compréhension

Contrairement à ce que l'on pense parfois, nos décideurs n'étaient ni des crétins, ni des imbéciles arriérés. Ils eurent rapidement conscience des limites du matériel et tentèrent de parer aux menaces :

  • encouragement, dès l'entrée en guerre, à la communication entre unités pour bénéficier des protections de chasse ;
  • vol à très haute ou très basse altitude, suivant le profil de la mission ;
  • départ au lever ou au coucher du Soleil pour éviter la chasse ennemie...

Le problème n'était pas tant intrinsèque au Potez 63 mais plutôt au concept même. Je pense en effet que le temps des appareils de reconnaissance aux performances de bombardiers légers était révolu. Si les bombardiers pouvaient, dans une certaine mesure, compter sur le croisement des feux défensifs, ce n'était pas le cas des appareils de reconnaissance. Car ils opéraient en solitaire. Leur escorte n'était pas toujours (rarement même) possible et pas nécessairement gage de survie (j'ai des exemples sous le coude, au besoin).

Pour conclure, je ne peux que citer les propos lucides du sénateur de la Haute-Loire, Victor Laurent-Eynac, dans un rapport daté du 2 décembre 1939 :

L'aviation d'observation et de reconnaissance, comme l'aviation de bombardement ne pourront désormais se défendre et remplir leurs offices qu'en rejoignant les caractéristiques de l'aviation de chasse ou en s'en rapprochant, qu'il s'agisse de la vitesse, de l'altitude ou de l'armement. 4

Suite

Notes :

1 AWACS : Airborne Warning And Control System, système de détection et de contrôle aéroporté.

2 Le Potez 63-11 livrés à partir du 1er janvier 1940 pouvaient emporter 8 bombes de 10 kg dans leur fuselage et 4 bombes de 50 kg sous les ailes.

3 Il y a beaucoup à dire sur ces opérations, baptisées Circus, mais cela sort du cadre de ce blog... et, accessoirement, de celui de ma compétence.

4 cité par Alain Marchand dans le Grand Gaspillage des T-3 2e partie, in Le Fana de l'Aviation n°354 mai 1999 p 69

Sources :

  • Archives diverses : Journaux de  marche et d'opérations d'unités, compte-rendus de combats aériens, de pertes...
  • Breffort D, Jouineau A, L'aviation française de 1939 à 1942 : Chasse, bombardement, reconnaissance et observation Tome 2 de Dewoitine à Potez, coll. Avions et pilotes n°8, éd. Histoire & Collections 2005
  • Ehrengard C-J, Le Potez 631, in Aérojournal n°18 2010
  • Ehrengard C-J, Le Potez 633, in Aérojournal n°49 2015
  • Ehrengard C-J, Le Potez 637 : les yeux de Gamelin, in Aérojournal n°2 2008
  • Fernandez J, Potez 63 Familly, coll. orange Series n°8109, éd MMP 2008
  • Goss C, Mahé Y (trad), Dornier Do 17 le mal aimé : Partie 1 : du crayon volant à la morue, in Aérojournal n°73 2019
  • Marchand A, le Grand Gaspillage des T-3 2e partie, in Le Fana de l'Aviation n°354 mai 1999
  • article Wikipedia sur le Bristol Blenheim Mk IV (en anglais)
  • fiche monographique sur le Dornier Do 17 dans Fernandez J, La bataille d'Angleterre (2e partie) la RAF l'emporte, Batailles Aériennes n°2 1997
  • pages sur les Potez 63 du site Aviafrance.com

Publié dans Les machines

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