vessies et lanternes

Publié le par Romain Lebourg

Mis à jour le 1er juin 2021

Des vessies pour des lanternes !

Tremblez (in)fidèles lecteurs, car le règne de Screugneugneu l'Écarlate, roi des ronchons, princes du fiel et empereur des grognons, n'est pas prêt d'arriver à son terme. V'là ti pas qu'à présent, il part en guerre contre ceux, grand paresseux peu scrupuleux, qui prennent une victoire (homologuée ou non) pour un avion abattu.

À ce compte, il est évident que le mythe des 1 000 victoires est explosé, mais pas de le sens usuel. Cependant, prenons un exemple, pour expliquer la différence.

Des canonniers français victorieux

Et oui, dans un Lioré et Olivier 451, on parle de canonnier et non de mitrailleur. Mais dans cette histoires, les deux auront l'honneur !

Nous sommes le 31 mai 1940, dans la soirée. À partir de de 19 h 40, 18 Glenn Martin M.167-F du Groupement de bombardement n°11 comencent à se présenter dans le secteur d'Abbeville. Les appareils des groupes I/62 et II/62 croisent la route de Messerschmitt Bf 109, appartenant probablement au III./JG 532. L'un des bombardiers est abattus et deux sont endommagés. Deux mitrailleurs, l'adjudant Lucien Mancelin et le sergent Paul Weber, ainsi que l'adjudant radiotélégraphiste Charles Jourdon sont cités à l'ordre de l'armée aérienne pour avoir chacun abattu un des assaillants.

D'autres missions ont lieu plus en arrière des lignes. Ainsi, le Groupement de bombardement n°63 envoie quatre LeO 451 du GB I/11 au-dessus d'Arras. Ces appareils sont également interceptés, dans le secteur d'Amiens. Selon les survivants, au moins un Bf 109 aurait été abattu, victime du sergent-chef Georges Weber. Mais ne nous arrêtons pas en si bon chemin, voyons !

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Encore un poste... problématique !

Publié aujourd'hui sur Facebook et déjà partagée :

Malheureusement, aucune des sources que j'ai pu consulter ne mentionne ces deux victoires4 ! Du reste, avec un canon de 20 mm au débattement et au nombre de munitions bien limités, était-ce possible ? Je pense que ç'eut été un sacré coup de chance.

On a malheureusement seulement trois victoires avérées par des citations au Journal officiel de la République française pour les aviateurs du Groupement n°1. Malheureusement, celles des aviateurs du GB I/11 tombés ce 31 mai sont toutes muettes et on doit se contenter de témoignages. Bien malin qui pourrait trancher objectivement à ce sujet !

La réalité des pertes allemandes :

Le 31 mai 1940, la Luftwaffe perd trois chasseurs au-dessus de la Picardie. L'un d'eux heurte un de nos bombardiers Douglas DB-7 et peut donc être écarté de la liste5. Il n'en reste que deux :

  • l'Oberleutnant Siegfried Bethke (2./JG 26), bien que blessé, peut évacuer le sien après avoir été touché par les tirs d'un LeO 451 qu'il attaquait, dans le secteur d'Amiens ;
  • l'appareil de l'Oberfeldfebel Walter Czikowski (6./JG 53) est plus problématique. Il s'écrase à Resson-sur-Matz (entre Compiègne et Roye), avec son pilote... et on n'en sait pas plus ;

Il est relativement facile, grâce au témoignage qu'il a laissé et d'autres éléments, de savoir lors de quel combat a été abattu le pilote de la 2./JG 2 : c'était contre le GB I/11. On ne peut en revanche rien dire sur le second appareil : les archives allemandes le donnent comme abattu par des chasseurs français, qui n'ont revendiqué aucune victoire dans le secteur.... Certes, on a retrouvé une carcasse de LeO 451 à proximité, mais ça n'est pas une preuve suffisante !

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Conclusion :

Actuellement, on peut faire la démarche de croiser les sources. On se rend compte que toute victoire reconnue ne correspond pas toujours à une perte de l'adversaire. C'est vrai pour tous les belligérants, de façon plus ou moins prononcée selon les théâtres d'opération et les époques.

Il faut donc se méfier des "appareils abattus" ou "détruits", que l'on voit ici ou là. À plus forte raison lorsqu'ils sont imaginaires. Malgré le respect que l'on doit à nos combattants :

  • les mitrailleurs du Groupement de bombardement n°1 n'ont donc abattu, au mieux, qu'un seul appareil allemand ;
  • il est impossible de justifier la fadaise7 selon laquelle l'équipage du LeO 451 n°116 a envoyé au tapis deux de ses agresseurs.

Notes :

1 Le Groupement de bombardement n°1 comprenait quatre groupe de bombardement, issus des 62e et 63e escadres de bombardement : les GB I/62, II/62, I/63 et II/63.

2 III./JG 53 : 3e groupe de la 53e escadre de chasse. Son chef, le Hauptmann Werner Mölders revendiqua une victoire contre un LeO 451, dans le secteur.

3 Le Groupement de bombardement n°11 comprenait les deux groupe de bombardement, issus de la 11e escadre de bombardement : les GB I/11 et II/11 ; mais le GB I/11 a finalement renforcé le Groupement de bombardement n°6

4 Après discussion avec l'auteur, cela serait issu des témoignages recueillis par Mme germaine L'Herbier-Montagnon.

5 Le pilote de cet appareil, appartenant au I./JG 53, a sauté en parachute et eut la vie sauve. Son identité nous est inconnue.

6 2./JG 2 : 2e escadrille de la 2e escadre de chasse. cette escadrille faisait partie du 1er groupe de l'escadre.

7 J'exprime ici mon point de vue sur cet évènement. Je me base sur le fait que :

  • le canon de 20 mm, par son encombrement, disposait d'un débattement faible (entre les deux dérives) ;
  • il était quasiment impossible de recharger le cette arme en vol, ne laissant que 4 s de tir environ ;
  • que le tir air-air est un art difficile.

Sources :

  • Archives des GB I/62 et II/62
  • Journal officiel de la République française du 13 novembre 1940, des 25 juillet et 16 décembre 1942.

 

  • Cornwell P, The battle of France then and now, After the Battle, 2007
  • Ehrengardt C-J, Le bombardement français volume 1 1939-40, Aéro-journal HS n°5, juin 2003
  • Ehrengardt C-J, Le Lioré et olivier 451 partie 2, Aéro-journal n°20, février-mars 2011
  • Mombeeck E et Roba J-L, Dans le ciel de France : histoire de la JG 2 "Richthofen" volume 1 : 1934-1940, ASBL La Porte d'Hoves, 2007
  • Roba J-L, L'histoire de la Jagdgeschwader 53 "Pik As", Batailles Aériennes n°57, juillet-août-septembre 2011
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