Malheurs du chasseur

Publié le par Romain Lebourg

Les malheurs de la chasse française

Partie 1 - La chasse française en 1939-40 :

Ah ! si nous avions eu plus de Dewoitine 520 ! Ah ! si nous avions choisi le Nieuport 161 à la place du Morane 406 ! Que de regrets n'entend-on ou ne lit-on pas ?! Et pourtant, il faut bien admettre qu'ils ne sont pas toujours formulés par des gens ayant une culture limitée. Mais souvent, ils dénotent d'une méconnaissance ou d'un oubli d'une vérité bien établie : la réalité est toujours complexe !

Une fois n'est pas coutume, nous allons parler chasse sur ce blog. La chasse est, de toute façon, la composante indispensable à une bonne activité de l’aviation de renseignement. Alors tôt ou tard, il fallait bien que le sujet soit étalé sur la table.

Une infériorité matérielle :

Lorsque la France déclare la guerre à l'Allemagne, le 3 septembre 1939, l'évènement tombe plutôt mal pour la chasse française. En effet, celle-ci est en pleine modernisation. Les groupes les mieux lotis sont équipés des chasseurs monomoteurs Morane-Saulnier MS-406 ou Curtiss H-75 et les autres doivent se contenter d'un matériel plus anciens allant du Dewoitine D.510 au Nieuport-Delage NiD 622 ou 629 ! Le moins que l'on puisse dire c'est que la plupart de ces appareils ne fait pas le poids car elle est dominée dans quasiment tous les domaines par les Meserschmitt Bf 109 E allemands.

Une infériorité numérique :

Mais il y a plus grave ! En effet, à cette époque-là, la chasse française en métropole représente 20 groupes, dont 2 de chasse de nuit, et 6 escadrilles plus ou moins indépendantes. En face, les Allemands disposent de 28 groupes (dont 10 de chasse lourde), il est vrai en majorité engagés en Pologne. Cependant, à l'époque un groupe de chasse compte, au plus, 26 avions en ligne, alors qu'un Jagdgruppe en dispose de... 48 ! En outre, l'armée de l'Air sera incapable de créer ex-nihilo d'autres groupes avant le 10 mai 1940, ni de porter les effectifs de ces groupes de chasse à ceux des Jagdgruppen : elle ne dispose tout simplement pas du personnel nécessaire et sans doute pas de suffisamment de matériel moderne bon de guerre.

Et une infériorité tactique :

De plus, l'étude des opérations montre que notre stratégie défensive, si elle se justifiait, était trop beaucoup passive.

Ainsi, lors de l'offensive limitée en Sarre, nous n'avons jamais cherché à avoir la supériorité aérienne, en rassemblant plus de chasseurs que l'ennemi (c'était alors possible grâce aux conflit avec la Pologne). Or les opérations de 1916 et 1917 avaient bien montré la nécessité de concentrer la chasse pour balayer le ciel et permettre aux autres composantes aériennes de travailler. Qui plus est, nous avons sans cesse subi les actions de l'ennemi : puisque nos avions d'observation étaient escortés par une patrouille simple, les Allemands en envoyaient deux ! alors on ajouta une seconde patrouille simple... l'ennemi en envoya donc trois et on en ajouta alors une troisième. N'aurait-il pas été plus simple et efficace de revenir à la tactique du Commandant Charles Tricornot de Rose à Verdun ? Cela, je pense, mérite d'être discuté.

Lorsque les opérations à terre débuteront réellement, nous nous montrerons incapables de faire face. La faute à des unités éparpillées et pas assez mobiles : au mieux, des escadrilles pourront être envoyées renforcer de manière ponctuelle les groupes au combat. Mais il leur faudra, chaque soir, rentrer au nid ! Jamais les groupes de l'aviation réservée ne seront concentrés pour assurer la maîtrise du ciel indispensable à la mise en place des contre-attaques engagées.

L'opération Tapir, réponse à l'expédition de bombardement allemande contre Paris, sera un fiasco : 6 victoires homologuées contre 20 pertes humaines ! Si des groupes ont, enfin, été concentrés cela reste insuffisant et les aviateurs combattront à 1 contre 10, selon Christian-Jacques Ehrengardt). De plus aucun bénéfice ne pourra en être tiré sur le plan opérationnel car aucune attaque concertée et coordonnée ne sera effectuée. Aucune utilisation ne sera faite du GC I/3, seul groupe opérationnel sur D.520 ! et les conditions d'interventions des chasseurs seront presque toujours en leur défaveur...

Une critique trop lacunaire :

La chasse française est donc matériellement et numériquement inférieure à son homologue allemande. Ce qui explique les demandes de squadron au Fighter Command, incessantes et implorantes à partir de mi-mai 1940. Mais, on oublie trop souvent les côtés tactiques et opérationnels qui font que, même avec un meilleur matériel, la chasse française n'aurait finalement pas été plus efficace qu'elle le fût dans la réalité.

On objectera qu'elle aurait abattu plus d'avions allemands, de chasse comme de reconnaissance, durant la Drôle de Guerre. Mais je n'ai encore jamais vu la moindre estimation ! Or c'est sur cette base que l'on peut discuter de l'efficacité de la Luftwaffe lors la campagne de l'Ouest. De plus, il est évident que les aviateurs allemands et leurs chefs auraient cherché à s'adapter.

De plus, pour que la percée de Sedan échoue, le 13 mai 1940, il faut que des chasseurs interceptent les Junkers Ju 87 qui pilonnent nos troupes... si comme, dans la réalité, l'armée de l'Air est dans l'incapacité de fournir cet effort, alors il y a de fortes chances pour que l'opération réussisse tout aussi brillamment.

Ainsi, il faut bien prendre en compte tous les aspects du problème et, malheureusement pour les rêveurs, en améliorer un ne change pas forcément la situation.

Suite

Sources :

  • Bénichou M, 1919-1939 L'aviation américaine conquiert le monde, Le Fana de l'Aviation HS n°51 2013
  • Cony C, Les combats aériens de la Drôle de Guerre, Batailles aériennes n°3 1997
  • Comas M, La campagne de France (1° partie) : La bataille du Nord, Batailles aériennes n°7 1999
  • Ehrengardt C-J, Mai-Juin 1940, Aérojournal HS n°20 2018
  • Facon P, L'histoire de l'Armée de l'air : Une jeunesse tumultueuse (1880-1945), éditions Larivière 2004

Publié dans Panorama

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