Ailleurs en Europe

Publié le par Romain Lebourg

Reconnaître ailleurs en Europe

À l'occasion des 80 ans du début de la seconde guerre mondiale, il me parait intéressant de voir comment était organisée l'aviation de renseignement ailleurs en Europe. En effet, j'ai remarqué que l'on a souvent tendance à tirer à boulet rouge sur nos Mureaux, sans mentionner qu'en face, le matériel n'était pas toujours meilleur. Du reste la comparaison avec ce qui se faisait ailleurs n'est pas inutile même s'il ne faut pas oublier que la France a pu servir de modèle.

Les principaux pays que j'étudierai seront, à l'exception de la Pologne et de la Slovaquie, les protagonistes de la campagne de l'Ouest. À savoir (par ordre alphabétique) :

  • Allemagne ;
  • Belgique ;
  • Italie ;
  • Pays-Bas ;
  • Royaume-Unis

L'URSS est exclue de ce panorama pour la bonne et simple raison que je n'ai aucune information à son sujet (sinon qu'elle utilisait le Nieman R-10) ! Mais je suis preneur wink

ANF-Les Mureaux 115 du GAO 1/520.

ANF-Les Mureaux 115 du GAO 1/520.

Une aviation de renseignement au service de l'armée de Terre :

Chacune des six forces aériennes avait une culture et une orientation bien différente. En Pologne, par exemple, selon les mots du ministre des Armées en 1929, le Maréchal Józef Piłsudski, l'aviation doit servir uniquement pour la reconnaissance et dans ce sens uniquement elle devra être employée1. José Fernandez nous apporte une précision supplémentaire sur le rôle de de cette aviation : celle-ci n'est conçue que comme une simple force d'appoint de l'infanterie2. Au contraire, la force aérienne britannique était avant-tout tournée vers la défense de l'île et principalement concentrée sur le bombardement avant que l'on ne développe également une force de chasse d'intercepteurs pour la défense rapprochée de la Grande-Bretagne. Mais dans chacune de ses six forces aériennes on constate que des unités de l’aviation de renseignement étaient rattachées aux grandes unités terrestres.

L'aviation de corps d'armée :
Fokker C.V
Fokker C.V du IV-2LvR, rattaché au IIIe Legerkorps

Sauf en Pologne où cet échelon n'existait pas3, les corps d'armée disposaient d'une escadrille d'observation. Cette escadrille était généralement équipée du même type d'appareil : un monomoteur biplace, biplan ou monoplan à aile parasol, pouvant effectuer des missions de bombardement léger. On le voit dans toutes les armées des pays cités. La plupart des matériels mis en œuvre était contemporains (parfois antérieurs) à nos ANF 115 et 117 et de performances sensiblement équivalentes. En Pologne, tous les éléments d’aviation étaient regroupés au niveau de l'armée. Chacune possédait généralement deux escadrilles d'observation avec un parc aérien rentrant parfaitement dans la description précédente.

Comparatif entre différents avions d'observation.

Comparatif entre différents avions d'observation.

Ainsi, quelque soit la force aérienne considérée, la solution retenue a été la même : un monomoteur lent qui avait besoin que la supériorité aérienne soit assurée pour opérer en toute quiétude. En dehors de la France, il n'y a qu'en Italie où on constate l'apparition d'un bimoteur triplace (dans l'escadrille du IIIe corps d'armée) : le Caproni 311. Toutefois, ces performances demeuraient inférieures à celle du matériel français équivalent (Potez 63-11). Les Allemands avaient également un bimoteur triplace en projet, le Fw 189 Uhu, mais ce dernier n'entra en service qu'à l'échelle de la présérie, au moment de la campagne.

Une reconnaissance d'armée
PZL 23B
Un PZL P.23B Karaś II de la 65 Eskadra Liniowa, en 1938

Globalement, les armées, quand cet échelon existait, disposaient d'une aviation de reconnaissance. En Allemagne et en Italie, les groupes d'armées disposaient également de leur escadrille de "reconnaissance", avec un matériel identique à celui d'une armée. Si on observe chacune des nations belligérantes étudiée, c'est à ce niveau que des différences apparaissent.

  • Il y a d'abord l'Allemagne et la France, qui avaient un appareil bimoteur développé spécialement pour ce rôle ; seule la quantité différait : deux escadrille chez nous, contre une en Allemagne ;
  • En Italie, le matériel était identique à celui des escadrilles de corps d'armée puisque, dans les faits, il s'agissait également d'escadrilles d'observation. Deux d'entre elles étaient équipées du bimoteur Ca 311 ;
  • En Pologne, chaque armée possédait une escadrille de P.23B Karaś, qui était un monomoteur développé pour être polyvalent. Cela donnait à ses unités une capacité de bombardement tactique que n'avait pas les armées françaises par exemple. Mais l'appareil était plus lent que les bimoteurs ;
  • La Grande Bretagne utilisait, elle, un appareil conçu pour le bombardement léger. L'Air Component de la BEF comprenait quatre squadron de Bristol Blenheim, un bimoteur de bombardement triplace, pour la reconnaissance. Comme en Pologne, ces unités avaient, théoriquement, une capacité de bombardement tactique (le pays privilégiait le bombardement stratégique).

Quel que fut le matériel utilisé, il restait vulnérable encore face aux chasseurs modernes. Même les Dornier Do 17 P, Potez 63-11 et Bristol Blenheim Mk IV, bien que pouvant dépasser les 400 km/h n'étaient pas assez rapides pour semer les intercepteurs les plus performants, ni suffisamment armés pour repousser leurs attaques avec succès : l'augmentation de leur armement défensif (3 mitrailleuses légères) n'apporta aucune solution.

Dornier Do 17 P du Stab/AufGr 122

Dornier Do 17 P du Stab/AufGr 122

Une reconnaissance stratégique

C'est certainement le point sur lequel, on peut observer le plus de différences.

Des pays faiblement dotés :

D'abord certains petit pays, comme la Belgique et les Pays-Bas, n'avaient pas de véritable force de bombardement : 1 escadrille au Pays-Bas et 2 escadrilles sans avions en Belgique ! Dans ces deux pays, on comptait tout de même au moins une escadrille de renseignement stratégique. Au Pays-Bas, elle possédait un matériel équivalent, dans sa philosophie à nos ANF 115 et 117. En Belgique, si les deux escadrilles de reconnaissance nocturne possédaient le même équipement que les escadrilles de corps d'armée, celle de reconnaissance diurne rattaché à l'état-major de l’Aéronautique Militaire était équipée de... Fairey Battle . Tous ces matériels ont montré leur inaptitude à la reconnaissance stratégique en milieu hostile durant la Drôle de Guerre (même si celui de ces nations n'a pas été directement impliqué).

PZL P.23
Un PZL P.23B Karaś II de la 65 Eskadra

En Pologne, l'unique brigade de bombardement possédait une escadrille "autonome" évoluant sur P. 23B Karaś et une escadrille d'observation équipée de Lublin R-XIII. En revanche, il n'y avait aucun moyens pour le commandement de l'aviation. Mais si l'aviation devait soutenir l'infanterie, avait-on besoin que  son état-major puisse prendre des décisions en toute indépendance ? Quoiqu'il en soit, ces deux appareils étaient inadaptés à la recherche de renseignement lointaine du fait de leur trop faible vitesse de pointe et de leur armement défensif trop léger.

Dans d'autres nations, on note une quasi absence de reconnaissance stratégique ! En Italie, toutes les unités d'observation sont ainsi rattachée aux grandes unités de l'armée de terre ou de son état-major. Ainsi la reconnaissance aérienne au profit des divisions de bombardement restait-elle à la charge de leurs escadrilles de bombardement. Quant à l'état-major, il devait certainement compter sur les remontées d'informations ou des directives de l'armée de Terre... Au Royaume-Unis, malgré l'orientation précoce de la force aérienne vers le bombardement stratégique, les unités de reconnaissance sont rare : il en existe deux. Selon le Major L Ellis le No. 212 Sqn, ou au moins une fraction faisait partie des effectifs4 de l'Advanced Air Striking Force. Aujourd'hui on sait juste que quelques appareils furent déployés en France.

La France et l'Allemagne sortent du lot :

En Allemagne, bien que la Luftwaffe fût censée opérer au profit de la Heer, on comptait une force de reconnaissance stratégique bien développée et correctement répartie entre les échelons de commandement.

Comme nos divisions aériennes, chaque Fliegerkorps (corps aérien) se voyait rattaché une escadrille équipée généralement de Dornier Do 17 P, équivalent à nos Potez 637 et 63-11. Toutefois, en mai, certaines de ces unités recevait un appareil plus récent : le bombardier Junkers Ju 88 A. Là s'arrête la communauté avec notre armée de l'air.

Heinkel He 111
Heinkel 111 H de la 7./KG 53

En effet, l'équivalent de nos zones d'opérations aériennes, les Luftflotten, disposaient de leurs propres escadrilles de reconnaissance : deux ou trois escadrilles de reconnaissance lointaine et une escadrille météorologique (Wetterkundungsstaffel). Ici l'équipement était vraiment varié. À la Luftflotte 2, on trouvait majoritairement des bombardiers He 111 H alors qu'à la Luftflotte 3, c'était plutôt des Do 17 P. Dans ces escadrilles également, le moderne Ju 88 A commençait à faire son apparition.

Enfin, autre grosse différence avec la France, l'état-major général de Luftwaffe, l'Oberkommando der Luftwaffe (ObdL), disposait lui aussi de quatre escadrilles de reconnaissance lointaine et d'une escadrille météo : la Wekusta 1./ObdL. L'équipement était également disparate mais généralement constitué de bombardiers : Do 215 B, He 111 J et Do 17 Z.

Ainsi, les états-majors aériens allemands disposaient-ils plus facilement de renseignements aériens sur la situation au sol, ce qui pouvait leur permettre de s'affranchir d'attendre les ordres de l'armée de terre pour intervenir dans la bataille.

Des expériences pour "sortir de l'ordinaire"

Notons toutefois qu'en France et au Royaume-Unis, des réflexions ont été menées par rapport à l'inadéquation des matériels. D'abord, dans ces deux nations, les artilleurs ont tenté de développer leur aviation. En France l'armée de l'Air freina suffisamment fort pour que le projet n'aboutisse pas avant l'armistice. Dans la RAF, les officiers du Royal Artillery Corps trouvèrent un échos plus favorable. Une section expérimentale fut mise en place et put s'entraîner à Mailly-le-Camp  pendant la "Drôle de Guerre". Il était prévu de la déployer, début mai, en Sarre pour une évaluation opérationnelle ; mais l'attaque allemande du 10 mai fit avorter le projet. Cela menaça et, finalement, retarda la mise en place de l'Air Observation Post.

Spitfire
Supermarine Spitfire PR Mk IA

L'autre domaine dans lequel les britanniques innovèrent concerne la reconnaissance stratégique. Jusque-là, la RAF utilisait ses bombardiers pour ces missions, à défaut d'autre matériel. Le créateur de la première unité britannique de reconnaissance stratégique pensait que ses appareils devaient pouvoir distancer les intercepteurs, plutôt que de les combattre.  C'est ainsi que, après quelques tractations, le Supermarine Spitifre PR Mk I vit le jour. Débarrassé de son armement, l'appareil pouvait emporter plus de carburant et un appareil photographique. Sa vitesse élevée et une haute altitude devait le prémunir des interceptions. En France, l'idée fit également son chemin surtout après les premières pertes de la "Drôle de Guerre" : trois D.520 furent modifiés sur le même principee que le Spitfire. Néanmoins, ils furent versés au GC I/3 pour évaluation et non à une unité de reconnaissance. J'ignore totalement s'ils ont été testés (il semble que non) et ce qu'ils sont devenus.

En matière de matériel, dans le domaine de l'aviation de renseignement, la France n'était donc pas à la traîne... sauf si on regarde les effectifs. Car effectivement, à l'entrée en guerre, il n'y a que quatre groupe sur Potez 637. Les autres ont un matériel désuet, voire périmé. Ce qui peut également paraître gênant, est l'absence d'unité de reconnaissance  directement rattachée aux états-majors. L'armée de l'Air devait certes soutenir l'action de l'armée de Terre. Mais même dans ce cas, on peut s'étonner que les groupes d'armées et, surtout, le GQG n'est pas eu leur unité aérienne et aient du compter sur la remontée des informations depuis les échelons subordonnés... avec tous les aléas que cela peut engendrer.

Notes :

1 Fernandez J, La campagne de Pologne, Septembre 1939 : l'Allemagne décence la guerre éclair, Batailles Aériennes n°4 1998 page 15

2 Fernandez J, La campagne de Pologne, Septembre 1939 : l'Allemagne décence la guerre éclair, Batailles Aériennes n°4 1998 page 13

3 Ordres de bataille sur Wikipedia

4 Ellis L, The war in France and Flanders 1939-1940, coll. United Kingdom Military Series, éd. J R M Butler 1954 page 372

Sources :

  • Brookes A, Photo Reconnaissance, Ian Allan Ltd 1975
  • Cornwell P, The battle of France then and now, After the battle 2007
  • Ellis L, The war in France and Flanders 1939-1940, coll. United Kingdom Military Series, éd. J R M Butler 1954
  • Fernandez J, La campagne de Pologne, Septembre 1939 : l'Allemagne décence la guerre éclair, Batailles Aériennes n°4 1998
  • Jackson R, Army Wings, a history of Army air observation flying 1914 - 1960, Pen and Sword 2006
  • Philippe B, GC I/3 : les rois du Dewoitine 520, Avions HS n°14 2004
  • Quill G, Spitifre la véritable histoire, Le fana de l'aviation HS n°52 2013
  • Taghon P, L'Aéronautique Militaire belge en mai-juin 1940, Avions HS n°18 2006
  • site Lexikon der Wehrmacht
  • site Traces of World War 2 et History of war
  • site Comandante Ramius

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