Trop peu, trop tard

Publié le par Romain Lebourg

Pourquoi "Trop peu, trop tard" ?

C'est une maxime que l'on entend souvent. Avec le "Ah, si on avait plus de ceci ou de cela !". Le problème, c'est que ces braves gens oublient qu'un matériel ça s'utilise plus ou moins bien. Et plutôt que radoter une énième fois sur les chasseurs que l'on a mal exploité ou que sais-je, je vais prendre un chemin détourné : celui du char de combat.

Le meilleur char du monde...

Nous avions en France un brave cher d'assaut, qui répondait au doux nom de B1bis. Avec pareil dénomination, nul doute que l'Allemand ennemi l'aurait confondu avec une adresse postale.

Un char redoutable

Ce char était extrêmement blindé : les malheureux canonniers antichars allemands l'apprirent d'ailleurs à leurs dépens. De même que quelques équipages de chars de la 10e division blindée... un certain 16 mai 1940. En fait, face à ce char, comme avec le char britannique Matilda II, les Allemands ne devaient leur salut qu'à leurs pièces antiaériennes de 88 mm ! Le B1bis était également bien armé. Dans sa tourelle, il disposait d'un canon de 47 mm moderne et performant. Cette arme transperçait le blindage de n'importe engin blindé allemand de l'époque. En outre, un canon de 75 mm était installé dans l'habitacle du char. Enfin, tous les exemplaires disposaient d'un poste radio émetteur/récepteur avec un membre d'équipage dédié à son usage ! il était même prévu un avion spécial d'accompagnement entrant dans le réseau radio de la compagnie !

Le schéma des transmissions radio d'une compagnie de chars B, en 1937. À ma connaissance, il n'a jamais été mis en pratique dans sa totalité durant le conflit.

Qui avait ces défauts :

Mais ce colosse avait des pieds d'argile... Tout d'abord son système de transmission était très fragile. Ensuite, son autonomie et sa vitesse de pointe étaient limitées. Ainsi, bien que char de rupture et appelé à pénétrer profondément dans le dispositif ennemi, il ne pouvait être utilisé comme ses homologues allemands.

Aussi impressionnant que puisse être le canon de 75 mm, il ne pouvait être pointé qu'en site (vers le haut ou la bas). Pour le pointage en azimut, c'est tout le char qu'il fallait faire pivoter. Les Américains opteront pour une solution différente sur leur char M3 Grant. Mais, sur le B1bis, cette arme n'était pas forcément destiné au combat antichar : elle pouvait aussi être utilisée pour réduire les batteries ennemies et les PC de commandement.

Le Renault B1bis Rhin du Musée des Blindés de Saumur. La photographie montre bien l'impressionnant armement du blindé et le défaut du canon sous casemate.

Le poste radio initialement choisi ne donna pas satisfaction et dut être remplacé durant la "Drôle de Guerre". Cela permis une certaine standardisation avec les chars D2 (fort peu nombreux). Mais la batterie avait une puissance trop faible pour l'installation électrique ce qui rendait impossible la veille radio à l'arrêt ! Il fallait donc que le moteur tourne et cela diminuait d'autant l’autonomie.

Enfin, comme tous les chars français de cette période (ou presque), sa tourelle était monoplace. Le chef de char devait donc : commander son blindé, repérer les menaces, pointer le canon, le charger, tirer et, parfois, commander l'action des autres blindés ! Un travail énorme que n'avait pas à subir un chef de char allemand ou britannique et qui devait occasionner une fatigue diminuant l'efficacité du blindé dans le temps.

Et pourtant, un ou deux chars de ce type pouvaient effectuer de petits "miracles".

Les "miracles" de Saint-Chamond...

L'histoire du boucher de Stonne :

Le carnage réalisé par le B1bis Eure, du capitaine Pierre Billotte, est bien connu. Pour ceux qui ne connaîtraient pas cet épisode, l'Odieux Connard l'a bien raconté :

Alors passons à une autre histoire (Rappel : il ne faut pas prendre pour argent comptant les revendications)

La chevauchée fantastique :

Nous sommes le 4 juin 1940 dans les environs d'Abbeville. Depuis le 27 mai, l'état-major s'échine à vouloir bouter l'Allemand hors de la rive gauche de la Somme, en vain. Après quatre jours de pause, on juge opportun de donner un dernier coup de collier grâce à l'arrivée de la 2e division cuirassée fraîchement reconstituée (enfin, en partie seulement). Pour l'appuyer, on dispose de la 31e division d'infanterie alpine ramenée de Lorraine et d'éléments de la 51e division d'infanterie écossaise (comme quoi, tous les britanniques n'ont pas foutu le camp à Dunkerque !). Depuis le temps qu'on s'acharne, cela devrait bien se passer !

Pour diverses raison il n'en est rien. Trois compagnies de chars B1bis doivent attaquer de front le Mont de Caubert, soutenue par quatre compagnies de chars légers Hotchkiss, quatre bataillons d'infanterie écossais et le bataillon de chasseurs portés de la division. Suivons les sept chars de le 348e compagnie autonome de chars de combat.

Dès le début de l'assaut, deux chars sautent sur des mines ! Les cinq autres atteignent le Mont de Caubert sans aucun problème, détruisent quelques batteries et poursuivent l'offensive sans se soucier de quoi que ce soit. Deux nouveaux chars sont victimes d'un champ de mines (le soldat allemand est taquin !) et un troisième est neutralisé par une batterie antichar. Finalement, seuls deux chars atteignent l'objectif qui est le faubourg de Rouvroy. Mais ils seront les seuls à y arriver et devront se replier, non sans amertume.

Carte montrant les axes d'attaques alliés. En rouge les attaques des B1bis, en orange celles qui n'ont pas abouti et en marron, celles des Écossais. L'étoile jaune figure un champ de mines.

Faute de plan de transmission mis en place, le commandement n'a pas été informé de leur succès et les deux chars n'ont pas été avertis que les fantassins chargés de les suivre étaient bloqués. Faute de transmission et de doctrine d'emploi, les vingt-et-un appareils d'assaut Breguet 693 et 695 de la 6e Brigade d'assaut, déployés à Beauvais - Tillé pour l'occasion, n'ont pas été mandés pour débloquer la situation... Des hommes et des blindés ont donc été perdus... pour rien.

Bien essayé mais ça ne marche pas !

Ce que nous montrent ces deux anecdotes est assez criant. En dépit de leurs exploits, et malgré un bon matériel, les équipages de chars B1bis ont été incapables de changer le cours des batailles dans lesquelles ils ont été engagés... même lorsqu'ils ont été victorieux ! Stonne, comme Abbeville, sont des défaites françaises ou alliées. Cela illustre bien qu'un bon matériel ne fait pas tout, surtout quand le système autour ne fonctionne pas bien du tout.

Alors la prochaine fois que vous aurez envie de déplorer "Trop peu, trop tard... crying" rappelez-vous en. D'avance, merci !

Sources :

  • Bonnaud S, Les B de la 2e DCr de l'Oise à Abbeville, 21 mai-4 juin 1940, in GBM n° 119 2017
  • Darré, Étude sur les transmissions au combat dans les unités de chars modernes, Centre d'instruction des chars de combat 1937
  • Wailly (de) H, La victoire évaporée : Abbeville 1940, Perrin 1995
  • site chars-français.net

Publié dans Aparté

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