Critique gratuite ?

Publié le par Romain Lebourg

Une critique gratuite ?

Un article m'a été suggéré. Il date certes de 2001, mais j'ai décidé de me pencher dessus. Il s'agit d'un texte de Philippe Garraud, intitulé "L'action de l'armée de l'air en 1939-1940 : facteurs structurels et conjoncturels d'une défaite" et paru dans le n°202-203 de la revue Guerres mondiales et conflits contemporains. Vous pourrez le trouver ici.

Quelques erreurs trahissant une méconnaissance de la situation

Dès les premiers paragraphes du développement, des éléments m'ont fait tiquer ! En général, ce n'est pas bon signe.

Ainsi, selon l'auteur, dès la déclaration de guerre, l'armée de l'Air est  en infériorité numérique et qualitative profonde. [...] Cette infériorité est totale pour le bombardement et la reconnaissance qui ne disposent d’aucun appareil moderne. Quid des quatre groupes équipés de Potez 637 ? L'appareil est équivalent à ce qui se fait alors outre-Rhin. Le MB-131 est également un appareil moderne, même si ces performances sont dépassées. Drix* pense qu'on aurait pu en faire un bombardier (de nuit ?) en attendant mieux ; j'étudie la question dans un autre article.

Répartition des appareils dans les 14 groupes de reconnaissance existant à la déclaration de guerre : la majorité est dotée de matériel moderne mais s'il est souvent peu performant (MB-131).

Répartition des appareils dans les 14 groupes de reconnaissance existant à la déclaration de guerre : la majorité est dotée de matériel moderne mais s'il est souvent peu performant (MB-131).

Paragraphe suivant, on lit que durant la campagne contre l'Allemagne,  quelques groupes de chasse sont certes créés, mais le nombre des unités de bombardement ne change pas. La note afférente nous apprend que les GC comptent 24 appareils. Or, si le nombre de groupes de chasse varie peu et ce, comme le remarque justement l'auteur, sans augmentation du nombre d'escadrilles (1 escadrille "autonome" est créée), leur effectif théorique passe de 26 appareils en lignes à... 34 ! Et oui, on aurait pu créer quelques groupes mais on manquait très certainement d'officiers pour les commander (on a même dû recruter des officiers subalternes dans l'armée de Terre !), peut-être a-t-on aussi eu peur de devoir les "céder" à l'armée de Terre...

Sur le même sujet, on lit plus loin que les nouveaux groupes prennent les numérotations des 8e, 9e et 10e escadres, ce qui n'est pas vrai puisque les GC I/8 et II/8 existaient à la mobilisation, qu'il n'a pas existé de GC III/8 et que deux des groupes créées furent les GC III/4 et III/5. L'auteur indique ensuite qu'ils sont équipés en matériels relativement modernes (Bloch 152) alors que d'autres unités d'actives ont été contraint[e]s de conserver un matériel en voie d’obsolescence rapide (Morane-Saulnier 406). Là encore, ce n'est tout à fait vrai car les GC I/10, I/9, II/9 (pour un temps), III/4 et III/5 ont été équipés de MS-406 et pas toujours des exemplaires neufs ! La conclusion M. Garraud, [l]es raisons [sont] difficiles à déterminer, me laisse pantois. Les GC II/9, III/9, II/10 et III/10 étaient chargés de couvrir des centres industriels voire logistiques importants (la basse Seine et Lyon) ; n'était-ce pas une bonne raison ? Le MB-152 avec ses deux canons de 20 mm et sa faible autonomie n'était-il pas mieux indiqué pour pour chasser les bombardiers que le MS-406 ?

Un raisonnement simpliste

Le plus grave dans cet article est le sort réservé à l’aviation d'observation : elle est complètement occultée. Dommage car son obsolescence technique était réelle, à la déclaration de guerre. Cependant, cela permet de limiter le type d'avions des Allemands ; au passage le Junkers Ju 87 est oublié... à moins que ce ne soit le Henschel Hs 123 (qu'entend l'auteur par avions d'attaque au sol ?). Bref, il faudrait rajouté 2 à 3 types de plus !

Proportion de chaque branche de l'avaition, en escadrilles. L'observation est loin d'être négligeable puisqu'elle pèse pour un gros quart des effectifs.

Proportion de chaque branche de l'avaition, en escadrilles. L'observation est loin d'être négligeable puisqu'elle pèse pour un gros quart des effectifs.

Mais il y a pire ! Et oui. C'est un secret de Polichinelle mais, notre industrie aéronautique peinant à remplir ses objectifs de productions, nous avons dû aller faire notre marché au États-Unis d'Amérique (ce qui leur a bien servi par la suite). Nous n'avons pas été les seuls puisque nos alliés britanniques ont fait de même, ainsi que les Belges et les Néerlandais ; mais, ça, l'auteur se garde bien de le rappeler. Une comparaison aurait pourtant été intéressante car ces pays possédaient, eux aussi, une industrie aéronautique parfois bien développée et plus performante que la nôtre.

Toutefois, ce qui me gène le plus est une phrase de conclusion : On voit donc très clairement que le flux de matériel acheté aux États-Unis était important et durable, et quelle qu’ait été l’issue de la campagne de France, l’armée de l’Air était structurellement destinée à utiliser des appareils américains de manière sans cesse croissante. Effectivement, le fait d'ôter l'aviation d'observation permet de falsifier le bilan, puisque le nombre d'unités diminue alors fortement ! Mais ce n'est pas en indiquant le nombre groupes transformés à la fin de la campagne qui va prouver quoi que ce soit. S'il est valable compte tenu des commandes passées avant, il ne préjuge pas celui des commandes à venir ! Car elles dépendent de la façon dont notre industrie aéronautique aurait été impactée par une éventuelle occupation allemande. Or cela est totalement absent du paragraphe : sans doute l'auteur part-il du principe d'une lutte poursuivie depuis l'Empire.

Sont indiquées les proportions maximales, compté en escadrilles, à l'armistice. Comme on le voit, c'est dans le bombardement que l'apport américain est maximal. Un calcul en nombre d'appareil aurait été sans doute plus juste... mais également plus complexe à réaliser.

Sont indiquées les proportions maximales, compté en escadrilles, à l'armistice. Comme on le voit, c'est dans le bombardement que l'apport américain est maximal. Un calcul en nombre d'appareil aurait été sans doute plus juste... mais également plus complexe à réaliser.

Du reste, M. Garraud oublie également les commandes de moteurs, ce qui complexifie la donne. Le MB-176, appelé à devenir la version de série du bimoteur rapide issu du MB-170, était de conception et de construction française, pas sa motorisation ; alors, avion français ou américain ? Aurait-il été le seul dans ce cas quand on sait qu'un chasseur de la famille du VG.33 a été équipé d'un moteur Allison ? Le problème de l'implication de l'industrie américaine est en réalité plus complexe.

Un article à jeter ?

J'ai arrêté là la lecture de l'article. Pourquoi ? Eh bien parce que lire, ça prend du temps et que relever tant d'erreur me donne l'impression de le perdre. On pourra m'objecter, qu'en 2001, nous n'étions pas aussi avancés que maintenant. Hélas, les fautes que j'ai soulevées pouvaient être relevées dès ce moment-là** !

Conclure sur la validité de ce texte est compliqué. Le peu que j'en ai lu m'a fait penser que :

  1. il était globalement fallacieux.
  2. je n'y apprendrais rien ;

Alors, sans aller jusqu'à dire qu'il est à jeter - parce que je n'en sais rien - je ne recommanderai à personne la lecture de cet article. Je pense, qu'en outre, il y a de meilleurs textes qui ont été produits depuis.

Notes :

* Ils n'ont pas été employés pour bombarder, ce qui aurait eu véritablement du sens, puisqu'ils étaient plus rapides que les Amiot 143, mais pour faire de la reconnaissance, ce qui n'en avait aucun, leur vitesse et leur plafond étant trop faibles. (Bombardement Français, 1936 - Le chaînon manquant : Bréguet 462 et Amiot 340 sont abandonnés (Mis à jour le 16 / 04 / 2019))

** Les éditions Lela Presse avaient déjà publié leur monographie collective sur le MS-406 (1998) et des numéro de la revues Batailles Aériennes consacré à la drôle de Guerre (1997) puis à la "Bataille de France" (1999-2000). Et je ne parle pas du travail précurseur de C-J Ehrengardt.

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